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Culture - Page 2

  • Publication de mon dernier ouvrage

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  • Dans l'intimité d'Albert Memmi , texte publié dans un ouvrage collectif

    Texte publié dans le volume 2 de l'ouvrage collectif  en deux volumes, "Albert Memmi , voix franco-tunisienne" en mars 2022 par les éditions L'Harmattan

    Max MEMMI

    Paris – France

     

    Dans l’intimité d’Albert Memmi

     

    Avant-propos

     

       Que l’on veuille bien excuser le style décousu du texte qui va suivre et l’absence de plan, des redites, des maladresses. Il s’agit simplement de notes inspirées par mes souvenirs, par les nombreuses conversations que j’ai eues avec mon frère Albert, par ses écrits - ses livres, son journal intime -. Il y aura toujours de la bienveillance de ma part compte tenu de ma tendresse à son égard, mais point de concession[1]. Si aujourd’hui, je ne témoigne pas, alors que l’occasion m’en est donnée par la publication de ce magnifique ouvrage collectif, qui le fera, de l’intérieur, mieux que moi ? Je laisse à d’autres les discours lyriques et les éloges dithyrambiques, la réalité est autre. Un premier exemple, mais il y en aura naturellement bien d’autres : le jour des obsèques de mon frère, le 2 juin 2020, après d’autres intervenants, un de mes neveux qui a souhaité prendre la parole, prononce une longue tirade élogieuse, puis déclare en substance…

     

    Albert était implacable dans sa voie droite, faite de rationalité, de libre-pensée… Homme agréable, il avait parfois l’ironie mordante ! … Il n’a été ni un père ni un éducateur pour moi (je doute qu’il fût un « parrain » pour quiconque !), mais, à mon tour de le dire, je me le représentais comme le garant vivant d’une rectitude intellectuelle… .

     

    Observations qui me paraissent très justes, et qui en donnant un premier éclairage sur l’homme qu’a été mon frère, le résume assez bien.

     

    *

    Avant tout développement, je voudrais dire combien mon frère me manque : à l’annonce de sa mort le 22 mai 2020, je me suis senti comme blessé, pourtant, même si je redoutais l’appel qui m’annoncerait cette mort, je savais que c’était inéluctable, à quelques mois près on aurait fêté ses 100 ans.

    Toute ma vie, j’ai toujours été très proche de mon frère Albert, parce que j’ai naturellement beaucoup vécu près de lui, que ce soit à Tunis, où nous vivions au 12 passage Gramont, en réalité une ruelle poussiéreuse qui reliait l’avenue de Madrid et l’avenue de Londres, puis à partir de 1951, -j’avais alors seize ans-, dans cette jolie maison ronde et blanche qu’il avait fait construire sur une colline verdoyante à Beausite, banlieue proche de Tunis, et enfin, principalement chez lui au 5 rue Saint Merri, dans le 4e arrondissement de Paris, appartement qu’il a occupé en tant que locataire, sans interruption pendant plus de soixante ans. Mais aussi parce que, j’en suis convaincu, comme j’étais son préféré, je fus ainsi le seul de la famille qu’il invitait à tous les événements importants de sa vie : et partout j’étais son seul photographe, puisqu’avec l’écriture et la littérature, c’est mon 3e violon d’Ingres.

     

    *

       Il est rare qu’on ait l’occasion de rencontrer plusieurs êtres exceptionnels au cours de sa vie : pour ma part, j’ai eu la chance d’en compter au moins quatre qui ont traversé mon existence. Celui qui a été le plus longtemps omniprésent physiquement, mais aussi dans mon esprit et ma conscience pendant près de trois-quarts de siècle, c’est indubitablement mon frère Albert.

    Le second est Alain Sicard, mon professeur de français de 4e au collège Alaoui de Tunis, j’ai consacré à cet homme remarquable un chapitre dans mon roman « Les épines » qui devrait être publié prochainement. Denis Clair, journaliste, écrivain et poète, est la troisième personne qui m’a fasciné pendant les quatre années où je l’ai accompagné dans l’animation d’un cercle littéraire, avenue Franklin Roosevelt à Paris. Enfin le dernier que je classe parmi les êtres exceptionnels que j’ai eu la chance de connaître est Daniel Cohen, mon éditeur, qui dirige la maison Orizon, qui a déjà publié sept de mes livres et à qui je suis en train de consacrer un ouvrage intitulé L’homme incandescent.

     

    *

    Pour évoquer Albert Memmi dans son intimité, par quoi commencer ? On a tellement écrit sur lui, -plus de vingt-cinq ouvrages, dont onze qu’il a définitivement intégrés dans sa bibliographie, et lui-même n’est-il pas entièrement au centre de son œuvre ? Que ce soit ses six romans qu’il s’est décidé à requalifier dans la catégorie des récits, d’un recueil de poésie, de ses Entretiens, bien évidemment, -trois livres-, ou même de tous ses Essais et Portraits- pas moins de dix-sept ouvrages, lesquels forment la véritable ossature de toute sa réflexion, tout tourne autour de lui. Il est quasiment impossible de détacher cet homme, Albert Memmi, de son œuvre, tant il a pratiqué l’introspection : sur ses vingt-huit livres[2], plus d’un tiers constitue de véritables confessions : La terre intérieure[3], Ce que je crois[4], Le nomade immobile[5] et enfin Le testament insolent[6]. Le point de départ est toujours sa propre vie, il utilise son cas personnel pour accéder à l’universel : ainsi dans Le Portrait du colonisé[7], il explique dans la préface à l’édition de 1966 que ce livre est pour lui la suite logique de ses deux premiers récits La statue de sel[8] (… qui racontait une vie, celle d’un personnage pilote, pour essayer de me diriger dans la mienne…),  et Agar[9] (… pour mes malheureux héros, le monde était celui de la colonisation, et si je voulais comprendre l’échec de leur aventure, celle d’un couple mixte en colonie, il me fallait comprendre le colonisateur et le colonisé…). Dans la suite de son Portait du colonisé, Portrait du décolonisé[10] qui n’a vu le jour qu’un demi-siècle plus tard, il continue de s’impliquer totalement. Dans Le portrait d’un juif[11], il écrit « Puisqu’il s’agit dans une large mesure de mon propre portrait, il est bon que je rappelle qui je suis… »[12] et sa suite La libération du juif[13], il écrit encore :

     

    J’emprunterai la même démarche : je continuerai à raconter ma propre vie. Ayant fait l’inventaire de ce que je suis, je veux découvrir maintenant comment me conduire… Avant tout, j’avais besoin de voir clair en moi-même… 

     

    Les exemples fourmillent dans toute l’œuvre de mon frère Albert qui prouvent qu’il lui était impossible, en tant qu’écrivain, de prendre du recul sur sa propre vie, d’utiliser d’autres thèmes que son propre vécu, ainsi dans La terre intérieure[14], cet aveu, terrible, qui m’avait fait tant réagir à la sortie de ce livre, - que je considère par ailleurs comme fondamental dans son œuvre pour comprendre réellement l’homme-, et qui a été l’occasion de nombreuses conversations que j’ai eue avec lui. Il écrit :

     

    […] Il n’y a pas longtemps, j’étais envahi de temps en temps par cette inquiétude que connaissent périodiquement les écrivains : pourrais-je encore écrire un livre ? N’ai-je pas dit tout ce que j’avais à dire ? Je sais aujourd’hui que cela ne se mesure pas en quantité d’événements et d’idées, mais en une puissance persistante de la source émettrice : la pile, pour moi, c’est La Hara. La Hara est mon radium, mon uranium 236, mon soleil intérieur, portatif et inépuisable… Je suis sûr qu’il continuera à rayonner en moi jusqu’à ma mort… La Hara est morte ; mais je reste l’exact chroniqueur[15] d’un monde disparu, à chaque ligne je réinvente la Hara, même sous les sujets les plus abstraits. 

     

       Mais que me répondait mon frère Albert, quand je le harcelais ainsi sur l’absence de vrais romans de fiction dans son œuvre ? Je m’insurgeais, je m’obstinais sottement : « pourquoi ne pas élargir ton répertoire par des romans ? ».

       Eh bien, il ne le prenait pas mal, il m’écoutait, me gratifiait de ce sourire d’une exquise bonté que j’aimais et qui m’apaisait, pour m’expliquer qu’il lui était impossible physiologiquement - c’était le mot exact qu’il employait - de créer une œuvre de totale fiction… « J’ai essayé, me disait-il, avec Le scorpion [16], avec Le désert[17] ; j’annonçais aussi de livre en livre à mes lecteurs la sortie prochaine d’un récit épique « Chronique du royaume-du-dedans », lequel n’a finalement jamais abouti. Je me suis beaucoup amusé. Et les pérégrinations de mon Jubaïr El-Mammi, il faut pas mal d’imagination, non ?

    Il était amer de n’avoir reçu aucun grand prix littéraire, persuadé qu’il aurait mérité le Renaudot pour n’importe lequel de ses Essais, et le prix Fémina pour Agar.

     

    […] J’ai aussi beaucoup cru à mon dernier roman, Le Pharaon[18], je l’avoue j’ai même espéré décrocher le prix Goncourt, mais j’étais toujours rattrapé par mes vieux démons, ces compagnons de route qui ne me lâcheront jamais, la Tunisie et le reste. C’est probablement pour ça qu’on ne m’a pas attribué le Goncourt qui doit revenir à des livres de pure fiction. Tu parles !

     

    Mais je lui faisais observer - avec prudence, car il pouvait être très susceptible et se fermer-, qu’il n’était pas assez médiatique, et je crains qu’en dehors d’un cercle d’initiés et de spécialistes, on ne se souvienne[19] peut-être pas d’Albert Memmi. J’ai construit une œuvre, me répondait-il d’un air soucieux et grave, je préfère la reconnaissance au succès. Je lui retoquais : « Toute ton œuvre est donc autobiographique ? ».

    « En quelque sorte, oui, c’est vrai, me répondait-il, tout en restant par ailleurs convaincu que l’autobiographie est un genre faux. J’ai dû écrire cela quelque part dans un de mes livres. »

    J’ai retrouvé, en effet, la source, en page 11 de La terre intérieure[20], répondant à Victor Malka[21], qui l’interroge, il dit :

     

    Vous voyez bien que l’autobiographie est un genre faux : une vie ne se raconte pas. On la rêve, on la réinvente à mesure qu’on la raconte, on la revit sans cesse d’une manière différente. 

     

       Et il est vrai qu’il n’hésitait pas à falsifier l’histoire, ainsi à l’occasion d’un entretien qu’il accorde à un journaliste[22], il autorise la publication d’une photographie où figure notre mère entourée de ses sœurs Marie et Fortunée. Il prétend que sur ce cliché sa mère est enceinte de lui. Or, je possède l’original de cette photo collée sur un beau et solide carton à en-tête de l’atelier du photographe sur lequel est noté 1917, qui est la date de la naissance de ma sœur Ginette. Une autre liberté- proche de l’imposture- : il publie au début de La terre intérieure une photo d’une vieille dame avec la légende Ma Ménana, qui fera réagir vivement un certain Jacques Zeitoun, un cousin par alliance, qui lui reproche de s’être approprié l’image de sa propre grand-mère, preuves à l’appui, Albert s’excusera platement. C’est lui-même qui me racontera cet incident. Cet accroc, pour reprendre son terme exact.

     

    *

     

       Ce que je vais dire à présent peut prêter à sourire, mais il n’empêche, j’ai, hélas, vraiment cru, un temps -un temps même assez long- que je pouvais être la mauvaise conscience de mon frère, ce dont, tel que je le connais avec son ironie mordante, il devait probablement bien s’amuser, pourtant il sollicitait ma présence, m’accueillait chaleureusement, et jamais il ne montrait la moindre irritation à ce que je me permettais de lui dire. Je ne comprenais pas, et ne cessais de le lui répéter, - moi qui suis un romancier[23] et seulement un romancier, même si je me suis hasardé à l’écriture de quelques Essais, - que compte tenu de sa notoriété, pourquoi n’essayait-il pas d’aérer un peu plus son œuvre, bref qu’il ne devienne pas aussi un romancier, plutôt que de continuer de s’enfermer dans ce carcan infernal Tunisie-juif-dépendance-pourvoyance. Naturellement, l’avenir m’a donné tort, si Albert a été édité et traduit dans le monde entier, c’est pour cette œuvre qu’il a laissée, et qui continuera d’alimenter les chercheurs de tous bords, et principalement ceux qui s’intéressent à la littérature Nord-Africaine[24], et pourtant le 14 mars 57, il écrit dans son journal intime : « Ce que je peux en avoir marre de la littérature Nord-Africaine ». Mais il ne s’en sortira jamais et continuera à regretter de ne pas avoir pu être capable de produire un vrai roman de fiction où l’Afrique du nord, les Juifs et les Arabes seraient enfin absents.

    J’y reviendrai, même si ce n’est pas l’objet principal de ma présente contribution à cet ouvrage collectif, mon propos ira bien au-delà de mon simple regard de frère et de mes souvenirs.

     

    *

     

       Avant de témoigner et de tenter d’éclairer cette personnalité clair-obscur que fut Albert, je me propose de le situer au sein de ma famille, une fratrie de quatre garçons et quatre filles, et de rectifier au passage certaines erreurs communément faites :

       Mon frère Albert n’était pas l’aîné de la famille puisque ma sœur Ginette a trois ans de plus que lui ; ma mère n’a pas donné naissance à treize enfants, mais à neuf seulement, la fratrie que je connais et la sœur jumelle de mon frère Charles, décédée alors qu’elle était encore un bébé. Peut-être dix à la rigueur si j’inclus ce mystérieux Victor qui serait né après ma sœur Ida et dont j’ai entendu parler quelquefois, mais dont je n’ai trouvé aucune trace.

       Mes trois frères donc : Albert né le 15 décembre 1920, Georges le 11 août 1929 et Charles le 10 mai 1933, et mes quatre sœurs, Ginette née le 3 décembre 1917, Ida le 16 février 1923, Denise le 4 août 1926 et Madeleine née le 5 octobre 1931. Tous sont nés à Tunis (les trois premiers dans le quartier juif appelé la Hara et les autres au 12 passage Grammont en centre-ville de Tunis) sauf Georges et moi à La Goulette, petite station balnéaire et avant-port de Tunis où mes parents aimaient passer une partie de l’été.

       Aujourd’hui tous nous ont quittés à jamais, nous ne sommes plus que deux, mon frère Georges, à qui je souhaite encore une longue vie, et moi.

       Quand quelqu’un disait à Albert, en plaisantant, qu’il enterrerait tout le monde, il répondait d’une voix grave : « Mais on vit très vieux dans la famille, mes frères et mes sœurs ne sont pas morts jeunes, tout de même ». C’est vrai et faux à la fois, car si Mado est décédée à quatre-vingt-sept ans, nos sœurs Ginette et Denise à quatre-vingt-quatre, notre mère et Charles sont morts seulement à soixante-douze ans, notre père à soixante-neuf et notre sœur Edna à, à peine soixante-trois ans.

       Enfant, j’imaginais mon père comme un génie en procréation, je ne cessais, admiratif, de passer en revue sa progéniture, et compter sur mes doigts :

    Eugénie/ Albert, 1917-1920, Ida/Victor[25] (?) 1923-192 (?), Denise/Georges, 1926-1929, enfin le temps passant et ma mère vieillissante, il fallait se presser, et réduire le délai entre chaque nouvelle grossesse, tout en maintenant la parité, une fille/un garçon, une fille/un garçon, etc. : Madeleine/ Charles, 1931-1933, Max/ et[26]… Une autre fille morte dans une fausse couche qui a failli coûter la vie à ma mère âgée alors de trente-sept ans et le corps usé par tant de grossesses, 1935-1937.

       Mon frère Albert n’a jamais aimé les familles nombreuses, il a toujours été très sévère envers les couples qui font beaucoup d’enfants, je l’ai souvent entendu à ce sujet, et pour cause nous lui avions pourri sa vie scolaire et surtout sa vie d’étudiant. Sur notre sœur Ginette qui eut six enfants, il faisait surtout preuve d’ironie… « jolie comme une dragée de baptême malgré ses maternités à la chaîne… »[27]… « Germaine[28] me raconte[29] que Ginette, désolée d’avoir encore un enfant, le 6e, assure qu’elle a tout fait, que fais-tu ? Lui demande-t-elle, je pisse, je me lave, puis je me couche sur le ventre pendant une       heure… » … « Ginette[30] et son mari ont fait six gosses. Après le 4e, ils ont décidé d’utiliser des capotes. Résultat : 2[31] enfants coup sur coup, les capotes étaient trouées, prétend-elle. Y a pas moyen : j’ai tout essayé. Quand j’étais enceinte de Pitou, j’ai fait des bains par-devant, avec du vinaigre et de l’ail… (Ils font l’amour tous les soirs ! Note Albert qui doit trouver cela aberrant.) : « … Les enfants[32] couchent 4 sur un divan, 2 d’un côté, 2 de l’autre. Ça leur tient chaud. Et 2 avec nous. Mais depuis quelque temps, Raymond ne veut pas qu’ils couchent dans le grand lit avec nous, ils le gênent pour faire l’amour… » : « … Ginette[33] n’a plus d’enfant depuis longtemps. Que s’est-il passé ? Elle a dû faire un nœud au sexe de son mari… Notera plus tard Albert sur son journal intime.

    Ces anecdotes sont truculentes, certes, mais le style est cinglant, aucune concession pour les gens et les situations qui lui déplaisent. Elles révèlent le caractère vachard d’Albert, son manque total de compréhension sur ce sujet et son absence de compassion à l’égard d’autrui qui m’apparaîtra souvent tout au long de son existence.

    Au cours d’une de nos nombreuses conversations, il m’avait confessé qu’il ne se voyait pas grand père, il affichait des sentiments ambigus et complexes sur la descendance éventuelle de ses enfants, et je crois que ce n’est pas un hasard si aucun de ses trois enfants n’a voulu, - consciemment ou inconsciemment - faire de leur père un grand-père.

     

    *

     

       Je voudrais à présent parler de notre nom de famille pour affirmer que nous n’en avons jamais changé, je dis cela parce que j’ai lu ici et là, et même dans des livres destinés à des étudiants… « Albert Memmi de son vrai nom Alexandre, Mordekhaï, Benillouche… » ce malentendu provient sans aucun doute du texte de la préface qu’Albert Camus a accordé à mon frère quelques années après la première édition de son roman La Statue de Sel, où il écrit, notamment :

     

    Voici un écrivain français de Tunisie qui n’est ni français ni tunisien. Il est juif (de mère berbère, ce qui ne simplifie rien) et sujet tunisien… Cependant, il n’est pas réellement tunisien, le premier pogrome où les Arabes massacrent les juifs le lui démontre. Sa culture est française… Cependant, la France de Vichy le livre aux Allemands, et la France libre, le jour où il veut se battre pour elle, lui demande de changer la consonance judaïque de son nom. Il ne lui resterait plus que d’être vraiment juif si, pour l’être, il ne fallait partager une foi qu’il n’a pas et des traditions qui lui paraissent ridicules. 

     

    Même si, incontestablement cette préface a été un atout pour la notoriété de mon frère Albert, elle était en fin de compte mal fagotée. Je relève plusieurs affirmations de Camus qui me mettent mal à l’aise : écrire, comme l’a fait Camus, que mon frère était si peu tunisien alors que la Tunisie ne l’a jamais quittée, qu’il n’a pas souhaité être juif alors que mon frère n’a jamais renié sa judéité et, enfin, que la Tunisie et son identité de juif sont présents dans tous ses livres.

       Quand j’en parlais à mon frère Albert, il me répondait que dans son cœur il a toujours été, toute sa vie, ce petit juif tunisien de Tunis : Alexandre pour Albert, Mordekhaï pour Memmi et Benillouche pour Bréïtou, le surnom que lui avait donné notre mère.

       « Mais c’est ton histoire, pas la mienne, lui disais-je, puis, je m’en suis largement expliqué dans mon livre « Être ou ne pas être juif ? Telle est la question. Pourquoi ? Publié par les éditions L’Harmattan en 2017, qui a bénéficié d’une préface élogieuse du philosophe et essayiste Pascal Bruckner.

       Les familles Memmi, chrétiennes de surcroît, sont nombreuses en Tunisie, en Italie et en Corse ; il existe des pièces romaines à l’effigie de guerriers du nom de Memmi[34] et des peintres de La renaissance Simon et Lippo Memmi[35].

       Un autre jour, un de mes amis me dit avoir découvert que ma famille aurait changé de nom pendant la Seconde Guerre mondiale à cause de la consonance judaïque de mon nom : naturellement je tombe des nues ; Je lui oppose un démenti catégorique, j’aime mon patronyme et de plus j’en suis fier parce qu’il est porté par des personnes de toutes confessions, juives, chrétiennes et musulmanes. Il me montre alors un livre de la collection : « Folio » correspondant à une énième réédition du premier roman de mon frère Albert La Statue de sel sur lequel figure, en quatrième de couverture le même extrait précité, et c’est signé Albert Camus, affirme-t-il avec force !

       Donc, dans l’esprit de mon ami, le doute n’est pas permis. Sauf qu’il s’agit là d’un texte composé à partir de phrases extraites ici et là, de cette longue préface que Camus avait accordé à Albert où il évoquait non pas l’auteur, mais le héros du roman, que mon frère avait nommé Alexandre Mordekhaï Benillouche, pour donner plus de densité aux tourments et à l’angoisse de ce dernier. D’où la confusion. Pourtant, Camus écrivait bien dès les premières lignes de sa préface : « Le jeune dont l’histoire est contée… ». Comment les Éditions Gallimard pouvaient-elles à ce point tronquer et déformer les propos de Camus ?

       Et cette erreur a fait son chemin, en pire si je puis dire, puisqu’une de mes petites-filles, en classe de terminale m’a montré un bouquin, recommandé par leur prof, intitulé Le mal de vivre, publié par la très respectable maison Hachette, sous la signature de Mesdames Benrekassa et Lalliard, agrégées de l’Université, qui reprend des extraits d’œuvres d’une dizaine d’écrivains, dont Albert Memmi, qui est présenté ainsi, en page 68 : « Albert Memmi, de son vrai nom Alexandre Mordekhaï Benillouche, est le plus important auteur francophone[36] tunisien… ». Je me suis alors tourné tout naturellement vers mon frère. Malgré son grand âge et quelques difficultés motrices dues à la vieillesse, il conserve une excellente mémoire et une grande agilité intellectuelle qui me réjouissent. Il s’est moqué de mon émoi et m’a répondu que cela n’avait aucune importance, d’autant plus que lui s’est toujours « senti » Alexandre Mordekhaï Benillouche.

    Il ne m’a en aucun cas convaincu. Qu’il se considère comme un Benillouche[37], c’est son affaire. Je suis quant à moi scandalisé, parce que je me sens attaqué dans mon intégrité, dans mon identité, dans ce que j’ai de plus cher : mon nom. Non pas que le patronyme de Benillouche me gêne particulièrement. Si j’étais né Benillouche, j’aurais trouvé normal de m’appeler par ce nom, mais voilà, je suis né Memmi et mes géniteurs m’ont donné le prénom de Max et non pas de Mordekhaï, j’existe donc en tant que Max Memmi et non en tant que Jean Dupont et encore moins en tant que Mordekhaï Benillouche, et puis pour être tout à fait honnête et le dire franchement, il se trouve que je n’aime pas particulièrement cette consonance, Ben Illouche. Bref, c’est son histoire à lui, pas la mienne. Lui est né dans La Hara[38], au cœur du ghetto juif de Tunis, il a fait ses premiers pas en sabots de bois et parlait mal le français. Même si, naturellement, son mérite est d’autant plus grand, quand on connaît l’œuvre importante et combien généreuse qu’il nous a laissée, je ne vois pas pourquoi il s’est plu, toute sa vie, à s’identifier à la vieille peau pleine d’urticaire du héros pauvre de son premier roman.

       Deuxièmement : j’ai lu un peu partout, chez les biographes de mon frère, et même curieusement dans les livres d’Albert, que ma mère s’appelait seulement Maïra ou Méïra, et mon père Fradji ou François, or sur tous les actes d’états civils de la famille y compris sur les extraits de naissance de tous les membres de ma fratrie, que je me suis procurés, ne figurent que le prénom de Marguerite pour ma mère et celui de Fradji pour mon père. Les prénoms de Maïra et de François n’existent pas officiellement. Certes mon père appelait sa femme Méïra ou Margot, mais son vrai prénom était seulement Marguerite. Ce n’est pas une coquetterie de ma part mais je rétablis simplement les faits pour les chercheurs et tous ceux qui s’intéressent à Albert Memmi. En revanche, j’avoue qu’au cours de ma scolarité et bien plus tard aussi, j’ai aimé faire croire que les prénoms de mes parents étaient François et Marguerite.

       Troisièmement : on a systématiquement écrit que mon père est né en 1894 et ma mère en 1900, sous prétexte qu’à la naissance de mon frère Albert en 1920, mon père avait déclaré qu’il avait vingt-six ans et que son épouse Marguerite Sarfati avait vingt ans. Donc six ans de différence. En réalité personne n’a jamais su les âges exacts de mes parents, car il n’y avait aucune cohérence dans les déclarations de mon géniteur, en effet trois ans plus tôt à la naissance de ma sœur Eugénie (et non pas Ginette comme c’est écrit un peu partout) en 1917, mon père déclarait qu’il avait vingt-deux ans et que son épouse en avait vingt. (Seulement deux ans de différence donc on pourrait déduire qu’ils sont nés respectivement en 1895 et 1897. À la naissance de ma sœur Ida en 1923, il déclare qu’il a vingt-sept ans et son épouse vingt-six, presque le même âge. Donc par soustraction on peut déduire qu’ils seraient nés respectivement en 1896 et 1897. À la naissance de ma sœur Denise, mon père précise qu’il est âgé de trente-quatre ans et que son épouse a vingt-sept ans. Sept ans d’écart. En fonction de cette 4e déclaration les dates présumées de leurs naissances seraient donc 1892 et 1899. Et ainsi de suite, autant d’incohérences relevées sur les extraits de naissance des quatre autres enfants, Georges, Madeleine, Charles et moi-même. Dois-je conclure que mon père ne connaissait ni son âge ni celui de son épouse, ou simplement qu’il était très distrait. Je crois qu’en réalité il était transi de peur chaque fois qu’il se trouvait face à une personne détenant une quelconque autorité, agent de police mais aussi officier d’état-civil. Je donnerai un seul exemple : à la naissance de mon frère Albert, son premier fils, mon père aurait proposé le prénom d’Abraham mais l’officier d’état civil l’aurait refusé le considérant à trop forte consonance judaïque ; comme mon père était trop respectueux, voire craintif, de façon excessive face à la toute-puissance publique, il n’aurait pas insisté. C’est ce que mon frère Albert m’a raconté.

       Je reste perplexe devant cette explication. D’une part parce que je me souviens que ce prénom était largement en usage en Tunisie, et donné légalement à de nombreux nouveau-nés issus de familles juives, et d’autre part pourquoi refuser Abraham et accepter Esther, Maïssa, Jacob, Menana, Yaouara, Chalom, Khammouss et Moïse ? Pour ne citer que les prénoms bien hébraïques de ma propre fratrie. Cela restera un mystère.

       Mon père se sentait pauvre et démuni, et en plus épuisé par une santé très déficiente, outre ses effrayantes crises d’asthme et un travail harassant de bourrelier, je l’ai toujours connu souffrant de bronchite, de pneumonie chronique, et ces maux entraînaient des dégâts sur sa vue, sur son cœur, alors que ma mère était enjouée et nous enchantait avec ses contes merveilleux, (qu’elle inventait forcément puisqu’elle était illettrée), lui, notre père, nous a transmis son anxiété anxiogène et nocive, mais a contrario le sens de la morale, de la vertu, de l’honnêteté.

     

    *

       Que pensait mon frère Albert de ses parents et de ses frères et sœurs ? Beaucoup de contradictions, dans les propos qu’il me tenait, ce qu’il écrivait dans ses livres et sur ce qu’il notait dans son Journal intime et puisqu’il m’est permis aujourd’hui de pouvoir le consulter, grâce au travail remarquable réalisé par le professeur Guy Dugas, je n’hésiterai pas à y puiser largement, ce qui ravivera -joyeusement ou douloureusement- mes souvenirs d’enfance. Ainsi, sur sa mère d’abord, dans ce journal intime, en août 38, il écrit que notre mère n’est pas belle et qu’elle est moins intelligente que notre père, faible de caractère et soumise, qu’elle ment et qu’elle invente constamment, mais qu’elle est d’une imagination indomptable. Dans son récit La statue de sel[39] décrivant une scène de danse destinée à chasser les démons, il écrit d’abord que sa mère mentait ordinairement avec facilité, spontanément et sans calcul, puis il exprime son dégoût, sa honte quand il découvre que cette danse de sauvage est exécutée par sa mère.

       Mais dans son livre La terre intérieure[40], en 1976, il a alors cinquante-six ans, -l’âge de la maturité- il fait sans arrêt l’éloge de notre mère :

     

    […] Cette femme qui fut la folie de notre père, lequel à côté d’elle n’était qu’un décadent, et qui était une très jolie fille à l’époque de son mariage et qui est restée longtemps très belle

     

       Ma mère était analphabète, je l’ai déjà dit. Mais c’est à elle que nous devons le meilleur de nous-mêmes. Mon besoin quasi physiologique de rêve, d’invention, de création -qui s’est concrétisé probablement, avec plus ou moins d’intensité, chez chacun de nous, -je le dois à l’imagination fertile et foisonnante de notre mère. Le développement de tous mes sens, sans aucun doute plus aiguë chez moi, que chez autrui, l’attirance pour les odeurs, et pas seulement les parfums, la fascination pour la lumière, et pas seulement les couleurs, je le dois à ma mère, car mon père était un ténébreux, un ombrageux, un taiseux. Du moins celui que j’ai connu puisqu’il est mort à l’âge de soixante-neuf ans, alors que je n’en avais pas encore vingt-huit. Un être malade, souffrant, inquiet. Déjà un vieillard. Qui ne m’a transmis que son anxiété. Ses faiblesses. Tout cela je l’ai partagé étroitement avec mon frère Albert, que de fois avons-nous échangé à ce sujet.

     La part de folie remuante en moi, qui m’a permis d’entreprendre, de conquérir et de ne pas trop mal réussir, elle me vient de ma mère. La part d’angoisse paralysante, qui m’a souvent arrêté en chemin, entraînant des défaillances et des échecs, je la dois à mon père.

     

     

     

    Dans son journal intime du 8 septembre 1938, Albert note :

     

    […] Mon père aime ma mère, ma mère aime mon père, malgré 20 ans de mariage, malgré leurs disputes… Bien qu’elle ne soit pas belle[41], bien qu’il ne soit un homme entièrement valide[42].

     

    Le 20 mai 41 :

     

    […] Mon père s’emporte souvent et ma mère, pour le calmer, ment, plaide, fait ce qu’elle peut. Mais il est plus intelligent… Il s’aperçoit de ses mensonges et hurle davantage… Mon père est un homme excellent et d’une grande sincérité intellectuelle. Il ne se passe rien, et il ne passe rien aux autres[43]

     Ma mère est moins intelligente[44]… Faible de caractère et soumise[45], mais d’une imagination indomptable… Son imagination galope, développe, précise, raconte[46]… 

     Moi, je suis horriblement lucide et orgueilleux. Je ne peux rien… Cette lucidité que j’ai héritée de mon père ne me donne aucun repos, c’est une lutte perpétuelle et fatigante… 

     

    Et mon frère Albert ajoute : « Voilà ce que je suis, en quelques mots… » Cela paraît incroyable et stupéfiant, j’affirme, pour avoir été très proche de lui, que les principaux traits de caractère de cet homme se sont définitivement forgés à vingt ans. Lucide et orgueilleux, oui, assurément.

    Entre les pages de son journal du 23 juin au 1er juillet 1947, il glisse des copies de lettres adressées à ses parents, il annonce qu’il va se marier, qu’il espère les avoir à la cérémonie, mais qu’il répugne par ailleurs à organiser une quelconque cérémonie, surtout avec l’inévitable tra-la-la de Tunis, et surtout pas d’envisager un mariage religieux[47]. Il écrit :

     

    Un homme, s’il veut être propre, doit mettre en accord ses pensées et ses actes. Il ne doit pas mentir aux autres, ni à lui-même surtout. Or ma philosophie m’a conduit depuis longtemps à condamner toute religion. Vous le saviez. Les rabbins, pour moi, sont des gens ridicules, qui ne représentent rien. Aussi, je ne peux vraiment, en toute honnêteté, faire toute cette comédie, mettre sur la tête un taleth et dire des prières[48] qui vraiment ne signifieraient rien pour moi ? 

     

    Ce qui ajoute là un nouveau trait du caractère d’Albert qui ne s’est jamais démenti tout le long de sa vie : son intransigeance face à ce qu’il considère comme contraire à son éthique. Ainsi, pour être en accord avec lui-même, il m’a confié qu’il n’a jamais assisté à la moindre cérémonie religieuse, qu’il s’agisse de mariage ou d’obsèques, et qu’il s’est même refusé d’entrer dans un cimetière, car, par ailleurs, il a horreur de la mort.

    Bref, il conclut qu’il se mariera donc à Paris juste en présence de ses témoins. J’ai envie de dire : venant d’Albert qui se prétend libre et direct, pourquoi toute cette dissimulation ? Toute cette hypocrisie ? Alors qu’il écrivait ces lettres à mon père, en juin et juillet 47, il était en réalité déjà marié depuis plusieurs mois, le 24 décembre 1946 exactement. En fait, devant passer ses premières vacances d’été à Tunis avec sa jeune épouse[49], c’était sa façon de ruser et assumer sa culpabilité d’avoir menti à ses parents, qu’au fond de lui, il respectait. Il me confiait -des années plus tard-, sa contrariété de lire ici et là, surtout dans le monde juif, qu’il éprouvait du mépris[50] pour ses parents, il prétendait que c’était totalement faux, un grand malentendu… Mais, je pense, quant à moi, que ses sentiments étaient bien plus complexes : peut-être un mélange de honte et de pitié pour leurs conditions.

    Il employait le même mot, quand sur le tard, alors que nous étions tous bien vieux, je me permettais de lui faire remarquer qu’il était dommage que ses frères -mais surtout ses sœurs- n’ont pas pu lui rendre visite aussi souvent, puisqu’il fallait obtenir des rendez-vous compliqués pour le voir. Il avait l’air sincère. Sincère aussi quand il me disait qu’il y avait, au fond de lui, une espèce de regret, de mélancolie, se demandant si, quelque part il n’avait pas fait fausse route, si la voie qu’il avait suivie ne l’avait pas empêchée de vivre une vraie vie ordinaire, comme tout le monde. Consacrer plus de temps aux plaisirs de la vie plutôt que d’écrire. Mais il en aurait été bien incapable, trop tortueux, trop obsédé par l’écriture. Ses réflexions sur le bonheur[51] n’étaient-elles pas destinées à compenser ses manques, ses frustrations ?

     

    *

     

       Sans transition, puisque mon texte s’intitule Dans l’intimité d’Albert Memmi, je vais me permettre de faire état de cette page, très surprenante, du journal d’Albert datée du 15 mars 1948, mais qui va faire sourire : mon frère se remémore ce qu’il appelle un accident- survenu en classe de philosophie dirigée par Mr Patri, un professeur qu’il admirait beaucoup, où, précise-t-il, il était considéré comme le meilleur élève- qui le troubla profondément et qui laissa longtemps des traces. De quoi s’agit-il ? : d’un pet bruyant et prolongé qu’il laissa échapper… Et c’est là que j’apprends qu’il ne s’agit pas seulement d’un accident, puisque mon frère Albert, à l’instar de mon père, était, lui aussi un grand péteur habituel devant l’Éternel et les hommes. En effet, il écrit à ce propos…

     

    Mon père faisait des vents à la maison, absolument sans retenue. Ma mère non, quand il était là, par respect pour le mâle. Mais elle n’hésitait pas à le faire devant les enfants… C’est ainsi quand je grandis, que je pris à mon tour les libertés du mâle. Depuis, cette question des vents est restée source d’angoisse. 

     

    J’avoue avoir beaucoup ri à la lecture de cette page de son journal, car si j’ai toujours connu- et surtout entendu, et hélas respiré- les pets sonores, inconvenants et malodorants de mon paternel, jamais je n’aurais imaginé qu’Albert, cet homme austère et digne, pouvait lui aussi se laisser aller à pareil comportement.

       Quant à moi, j’ai toujours su que j’avais hérité de nombreuses tares de mon père, l’anxiété principalement et les colères froides, ainsi que cette manie vulgaire de péter, mais je me croyais seul dans la famille à avoir reçu cela en héritage

    *

     

       Ce que j’apprends[52] encore à la lecture de son journal :

       Dans quelles conditions, assez comique, mon père a épousé ma mère… Les prénoms de deux sœurs de mon père, la tante Rachel et la tante Habiba. Je n’en avais plus aucun souvenir, sauf de deux frères de mon père, l’oncle Joseph et l’oncle Simon ?

    Autant j’ai connu parfaitement tous les membres de la branche maternelle[53] puisque nous habitions presque tous ensemble dans le même immeuble appartenant à mon oncle Élie Sarfati, un des frères de ma mère, à Tunis, au 12 passage Gramont[54], autant j’ai très peu fréquenté la branche paternelle.

    J’apprends aussi que mon père, avant son mariage, avait passé deux ans et demi à Béja, située au nord-ouest de la Tunisie à une centaine de kilomètres de Tunis. Peut-être était-il donc natif de cette ville, comme je l’ai lu ici et là ? Et, qu’après son séjour à Béja, il aurait loué un petit magasin à la rue Tronja, à l’entrée de la Hara, -le ghetto juif-, là où naîtront ses quatre premiers enfants. Je n’ai connu, quant à moi, que la boutique de la rue Aldjazirah.

    8-12-1954 : il note sur son journal que « … Notre père, les yeux infirmes, se laisse mourir un an et demi seulement après qu’il ait abandonné son travail… ». Mais notre père trouvera tout de même la force de faire deux aller et retour entre Paris et Tunis quatre ans plus tard, avant de se résigner à vivre à Paris, et ne décédera qu’en avril 1963.

    Le 7 mai 1956, il écrit :

     

    Une bonne leçon : regarder vivre son père, on voit ses propres défauts grossis par vingt ans d’âge supplémentaire. Tout à l’heure, j’ai vu mon père anxieux d’une manière extraordinaire, sans motif. La prochaine fois que je serai anxieux, je me donnerai des coups de pied… 

     

    Je n’avais pas pris conscience qu’Albert n’avait, au fond, que vingt-quatre ans de moins que mon père, d’où son obsession manifestée partout dans ses écrits, -et dans nos conversations-, de ne pas vieillir comme lui, profiter de tous les petits bonheurs possibles. Ainsi il lui survivra près de soixante ans.

    Le 23 décembre 1959, il raconte une scène où notre père se trouve très mal, qu’il suffoque

     

    Mon père : horrible image de ce que je risque de devenir. Il ne bouge presque plus, ne sort plus, bourré de calmants, à moitié aveugle. Son corps l’abandonne et il abandonne son corps, qui le fixe au sol. Et je sais que c’est cela qui peut me guetter : lumbago, paresse, ne plus sortir. Alors ne pas permettre à mon corps de m’entraîner dans l’immobilité, puis à la mort. Veiller au bon fonctionnement de la machine. 

     

    En réalité, il ne semble pas éprouver la moindre compassion pour notre père, le spectacle de son géniteur mourant le renvoi constamment à ses propres peurs de la maladie et de la mort. Et quant à son mode de vie, Albert sortira très peu de son appartement.

    Moi-même, devenu octogénaire, j’ai souvent évoqué ce sujet avec lui, il me répondait, nous sommes vivants et pas trop mal en point, il y a pire que nous, et quant à la mort, heureusement que l’on n’y pense pas tous les jours.

    Le 1er septembre 1962, il écrit encore :

     

     Mon père, complètement aveugle maintenant, a peur de rester seul[55], ne fusse qu’une minute. Il ne veut même pas que sa femme aille chercher le pain au bas de la maison. Il faudra que je m’y habitue. 

     

    Je me souviens parfaitement de ces scènes qui m’oppressaient, qui me brisaient le cœur, quand j’allais rendre visite à mes parents au 53 rue du Temple où ils vivaient chez ma sœur Mado. J’ai sous les yeux une photo que j’ai prise un de ces jours-là : mon père fumant une cigarette dont la fumée ocre de son mauvais tabac lui brûle les yeux, mal fagoté, pas rasé, tendant un bras pour toucher l’épaule de ma mère, s’assurant ainsi de sa présence tout près de lui. Si ces scènes m’attristaient, Albert les décrit, quant à lui, sans aucune émotion : « J’écris maintenant comme on égrène un chapelet, partout, au milieu des gens, au milieu des miens ».

     

    *

     

    Sur un tout autre sujet, quand je lui demandais comment il était arrivé à orienter toute sa vie autour de cette question de dominance et de pourvoyance, il me répétait que tout est parti de ses deux premiers récits, La statue de sel et Agar, qui reposent sur le problème de la difficulté à communiquer, et c’est ainsi que tout naturellement la nécessité d’écrire des livres sur le colonisé et le colonisateur, puis sur la dépendance s’est imposé à lui.

    Toute son œuvre est un constant et perpétuel inventaire fait à partir de questionnements. Il reconnaissait aisément et sans détour que chacun de ses livres n’a été qu’une étape du bilan de sa vie, sans aucun masque pour le lecteur qui l’a suivi depuis le début. L’entreprise d’Albert a donc toujours été claire, bien que torturé, il reste simple et lucide en cherchant seulement à tisser une toile pour construire une œuvre à portée universelle.

     

    *

     

     Malgré ses succès et sa notoriété, je sais qu’Albert aurait aimé entrer à l’Académie française, pour nous aussi cela aurait été un évènement considérable, mais je crois qu’il ne faisait pas beaucoup d’effort pour y être admis, je ne me gênais pas pour lui faire observer que la tradition exigeait qu’il entre en contact avec chacun des membres de l’Académie pour les convaincre du bien-fondé de sa candidature. Il me répondait qu’il refusait de se prostituer. Néanmoins son dossier fut déposé et il obtint quelques voix. Jean  d’Ormesson, qui éprouvait beaucoup de respect pour Albert, et avec qui j’avais l’honneur de communiquer quelquefois, m’avait expliqué qu’il y avait aussi un problème d’âge. Quand cette prestigieuse Institution lui attribua le 2 décembre 2004 - il avait alors quatre-vingt-quatre ans, et se tenait encore bien droit-, le Grand prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre écrite en français, il paraissait certes heureux et fier, mais pas entièrement satisfait, persuadé, m’a-t-il dit, qu’il s’agissait là d’un lot de consolation[56] pour se débarrasser ainsi définitivement de lui. Mais quand il entra sous cette imposante coupole du 23 quai de Conti, dans le 6e arrondissement de Paris, qu’on le pria de s’installer au premier rang face aux académiciens, laissant derrière lui les très nombreux lauréats des autres prix décernés également par l’Académie, il semblait heureux aux côtés de son épouse Germaine, qui lui indiqua ma présence[57] sur un gradin au-dessus d’eux, tout en me faisant un petit signe affectueux. J’avais mon gros Nikon en bandoulière et surpris d’être le seul, ce jour-là, à prendre des photos. À la fin de la cérémonie, au cours du trajet en taxi pour les ramener chez eux, mon frère m’avoua qu’il avait été très impressionné par le rituel- l’entrée des académiciens au milieu d’une allée de Gardes républicains, tambours battants, le lieu et les discours, - il ironisa sur le thème choisi la vertu prononcé par l’écrivain Angelo Rinaldi, puis il me confia aussi qu’il avait préféré choisir le chèque de 22.500 € plutôt qu’une quelconque autre récompense dérisoire et inutile pour un homme pauvre[58] comme lui.

    Il fut invité deux mois plus tard le 24 janvier 2005, à la Bibliothèque nationale de France au site Richelieu 5 rue Vivienne dans le 2e arrondissement de Paris, pour inaugurer le dépôt officiel de ses archives personnelles[59] : j’étais également présent[60] et son seul photographe, j’ai donc pu largement immortaliser ces instants. Quand, après avoir salué et présenté Albert aux invités, le Président de la BNF, Jean-Noël Jeanneney lui offrit la parole, mon frère se contenta de raconter une histoire drôle tirée d’une des aventures de notre légendaire héros judéo-arabe dénommé Schra. Albert aimait en effet se mettre en scène, c’était son côté malicieux et son besoin de rappeler constamment ses racines. Cette Hara notamment qui a fait partie de lui, dans ses tripes, jusqu’à son dernier souffle ; alors qu’il n’y a vécu que les six premières années de sa toute petite enfance. C’est sa manière de rester fidèle aux siens, m’a-t-il maintes fois expliqué au cours de nos conversations.

     

    *

     

     Je reviens sur l’attitude d’Albert à l’égard de la pauvreté : n’ayant jamais réussi à oublier qu’il était né pauvre, il se comportait en avare, à l’égard de ses enfants d’abord[61], par souci d’économie, ainsi par exemple il exigeait d’eux qu’ils vendent leurs livres scolaires avant d’en acheter d’autres. Je crois que ses enfants ont en souffert, surtout Daniel, l’aîné, qui a pris définitivement ses distances avec sa famille depuis de nombreuses années.

     Albert réduisait souvent les équations les plus compliquées à de simples débits et crédits. Qu’ai-je reçu ? De qui ? Que dois-je donner ? À qui ? Je lui opposais nettement ma différence : on doit donner sans compter. Était-il avare ? Non, économe, anxieux, - cette anxiété héritée de notre père- inquiet en l’avenir, n’ayant jamais réussi à se libérer de cette vieille peau de pauvre.

     Mais il savait a contrario faire preuve de beaucoup de générosité, ainsi il a tenu à verser une pension alimentaire jusqu’à sa mort à l’unique ouvrier de notre père Peppino Grafféo, qui faisait partie de la famille, pour lui éviter de sombrer dans la misère. Et accordé des aides financières importantes à ma sœur Ida et à mon frère Charlot qui vivaient en Israël et également à ma sœur Mado pour soutenir son mari dans ses projets professionnels. Mais, dans les dernières années de sa vie, il ruminait d’avoir été « floué » parce qu’aucun d’entre eux ne lui avait remboursé le moindre centime, et il ajoutait que quelquefois cela l’empêchait de dormir. Il m’en parlait avec une certaine aigreur dans la voix, très choqué surtout de la réaction violente de notre frère Igal (son prénom israélien) quand il se permit de lui réclamer le remboursement, au moins partiel, du prêt qu’il lui avait consenti : un vrai barbare brut de décoffrage avait conclu Albert.

         

    *

     

     De mon frère Albert, je retiendrais l’image d’un homme toujours occupé à écrire. Quand il ne lisait pas, il écrivait. Il a passé sa vie à écrire, aussi loin que remontent mes souvenirs c’est cette image de mon frère en train d’écrire qui s’impose à moi, qu’il soit seul dans une pièce où, que de fois, enfant, à Tunis, fasciné je l’observais, jusqu’à ce qu’il me chasse, - ou même plus tard à Paris- il avait toujours un cahier sous la main pour tracer quelques lignes ou seulement quelques mots.

    Nous l’agacions, nous l’empêchions de travailler, il était avare de son temps et il n’a jamais changé. Il se plaignait beaucoup de la promiscuité dans laquelle nous vivions. Malgré mon très jeune âge, je me souviens très bien de ces scènes qu’il décrit dans son journal intime, en voici une particulièrement drôle :

     

    Jeudi 14 décembre 1939. (Il vient tout juste d’avoir 19 ans)[62]. Nous sommes dix[63] dans la même chambre, parce que c’est la plus potable, parce qu’il faut économiser la lumière et parce que nous avons, malgré tout l’habitude d’être ensemble, Jojo[64] et Charlot se disputent un combat. Ils font le plus de chahut qu’ils peuvent. Bébé[65] hurle parce qu’il a faim. Mado[66] crie d’une voix perçante par intermittence, chaque fois qu’elle croit avoir peur. Ginette chante[67]. Ida gronde[68]. Jojo parce qu’il a frappé Bébé frappe Charlot qui pleure. Mon père la joue enflée souffre et parle à ma mère. Et la T.S.F qui est le nouveau-né de la maison, mais un nouveau-né dont on se paye tous la tête, parle, chante d’une voix caverneuse, qui, à travers tout le bruit, laisse un grondement sourd. Moi je sors du lycée où il y avait le silence, le froid et l’obscurité à 7h[69] du soir. Je traverse vite la ville[70] sombre où passent des ombres silencieuses. Je rentre chez moi : je suis entouré, abruti de lumière, de chaleur, de bruit qui devient vite de l’écœurement, de la nervosité. J’ai mal partout, à la tête, aux sens et aux nerfs. J’éprouve le besoin de me retirer, mon silence d’écrire, de penser. Rien n’y fait : je suis pris, entouré. Quelques instants après, je m’y fais et j’entre dans le jeu. Je viens ajouter au vacarme général le bruit d’un tambourin que j’ai la prétention d’apprendre à jouer

     

    On imagine les difficultés d’Albert à trouver le calme nécessaire pour faire ses études qui l’absorbent beaucoup, puisqu’il veut être le meilleur, et réfléchir à son avenir, entouré, harcelé et perturbé par une vraie meute d’enfants de quatre à seize ans. Son journal intime est encombré des scènes de disputes entre notre père et notre mère, nos frères et nos sœurs. Ce qui explique à quel point il s’est, le reste de sa vie, carapacé, isolé. Sacrifié sa propre famille, ses enfants, dans cette gestion si égoïste, mais si nécessaire de son temps. (Moi qui suis devenu romancier, j’ai appris à vivre dans une bulle à l’abri de tous, le temps de la création). Ce qui explique son aversion pour les familles nombreuses, le jugement sévère qu’il portera sur la descendance de ma sœur Ginette.

    Août 41. Mon frère raconte longuement qu’il me retrouvait souvent à proximité de son bureau en train de le regarder travailler et qu’il n’arrivait jamais à me chasser. J’avais exactement six ans, mais je me souviens parfaitement de cette fascination[71] que j’avais pour cet homme austère toujours en train de lire ou d’écrire. C’est lui qui m’avait offert mon premier livre : « La mare au diable de George Sand : l’histoire de ce Petit Pierre toujours heureux et confiant.

    Ce qui est remarquable, c’est qu’Albert trouvait la force de consacrer du temps pour relater à son journal intime les faits marquants de sa vie, pour, comme il me l’a souvent dit, constituer des matériaux pour ses futurs livres, les engranger dans ce qu’il appelait parfois son « garde-manger » et aussi, pour reprendre son expression : espérer ainsi laisser une trace de son existence, au quotidien. Chez lui, une véritable obsession, mais qui traduit aussi son besoin « physiologique » d’écrire. L’avenir lui aura donné raison.

     

    *

     Au cours d’une de mes visites, il me confia qu’il lui arrivait de se demander s’il n’était pas passé à côté de la vraie vie, tout en ajoutant aussitôt qu’avec tous les livres qu’il avait écrits, il laisserait peut-être une trace. Lui, athée et rationaliste convaincu, il se préoccupait pourtant du jugement de ceux qui s’intéresseraient à son œuvre, après sa mort.

     

    *

    Un jour, ô il y a fort longtemps, je lui ai dit en souriant qu’il avait fait de l’immobilité son moteur de création et de vie, une vie entièrement consacrée à l’écriture, au service d’une belle œuvre. Il avait gentiment approuvé, oui, c’est assez bien vu, fut sa réponse. Et il me plaît de croire, naïvement, compte tenu de nos nombreuses et riches conversations, que c’est moi qui lui ai peut-être soufflé le titre du Nomade immobile, ce livre-testament, magistral, qui fait la synthèse de toute son œuvre, et de toutes ses idées, livre dont il pensait honnêtement qu’il serait le dernier, mais il eut encore la force d’en produire d’autres sur ces thèmes qui ont taraudé toute sa vie, dépendances et pourvoyance, colonialisme, puis enfin, son tout dernier essai fin 2009, Le Testament insolent, il avait alors quatre-vingt-neuf ans, qui met fin à toute publication de sa part.

    Pendant les dix ans qui ont suivi, ponctuellement je le questionnais sur ses projets, il me faisait toujours la même réponse, ce serait là son dernier livre, je lui montrai mon incompréhension, voire ma déception qu’il n’écrive plus, alors il m’indiquait un de ses sempiternels cahiers d’écolier jamais loin de sa plume, ou, sur le tard de simples feuilles volantes, en me précisant qu’il continuerait d’écrire jusqu’à son dernier souffle, et il me désignait sa belle loupe à manche d’ivoire, qui venait au secours de ses yeux défaillants, perdre la vue[72] était sa plus grande inquiétude. Lui si discret de nature devant moi « son petit frère « il n’hésitait plus à se plaindre de douleurs aux lombaires, aux cervicales, d’une immense fatigue, du froid qui gagnait tout son corps, qui l’obligeait à se réfugier dans des couvertures, même en plein jour. Mais il restait digne devant les étrangers et au téléphone, il faisait croire qu’il allait bien, il répétait : « Il y a pire ».

    Malgré son état, il lui arrivait de me prier de l’aider à sortir, à faire quelques pas en dehors de son appartement, pour prendre l’air. Je l’accompagnais jusqu’à la terrasse d’un café situé à la rue du Temple où il aimait, béatement, regarder les passants. Un jour il m’a demandé de le conduire en taxi jusqu’au bord du canal Saint Martin : il clignait des yeux au soleil tout en s’abandonnant dans un étrange bonheur, à défaut de la mer, me disait-il, je peux rêver et imaginer des vagues. Lui, le fils de la Méditerranée   cela me faisait mal.

    *

    J’avais donc compris qu’il n’y aurait pas d’autre livre écrit de sa main après Le testament insolent. Il a tenu sa promesse. Il me confiait avec un beau sourire qu’il préférait à présent se distraire en lisant des romans policiers ou en regardant des westerns à la télé, tout en grignotant quelques gâteaux secs tunisiens à la pâte d’amande ou en caressant avec volupté quelques soieries. Il aimait aussi simplement rêver devant sa multitude d’objets hétéroclites qu’il avait accumulés au fil de sa vie. Pour avoir été chez chacun de mes frères et sœurs, je sais que je suis le seul de la tribu Memmi qui partage le même goût de notre frère Albert pour ces musées imaginaires, bric-à-brac qui ont fait le désespoir de nos épouses et des femmes de ménage. Voilà des informations qui vont peut-être décevoir ses admirateurs qui en font un homme hors du commun ! Mais non, Albert était aussi un homme très simple, et pas toujours obsédé par son œuvre.

     

    *

    En ce qui concerne ma propre production littéraire, au début, dans les années 80-90, il s’était montré fermé, un peu jaloux, il a été jusqu’à oser me suggérer de changer de nom, c’était son domaine réservé. L’écrivain Memmi, ce devait être seulement lui. Naturellement son attitude m’attristait, d’autant plus que je me considérais comme un nain à côté de lui. Mais, par la suite il avait progressivement évolué et adopté enfin une attitude plus bienveillante, je voyais bien qu’il prenait la peine de lire mes romans puisqu’il me complimentait sur mon imagination, reconnaissant en moi un vrai romancier, en me précisant que lui-même n’avait pu écrire que des récits autobiographiques, et que de ce fait, dans ses propres bibliographies successives, il avait décidé de requalifier ses romans en récits.

    Ces dix dernières années, il n’hésitait pas à me donner des conseils d’écriture, pour améliorer mon style, avoir plus d’exigence dans la relecture de mes textes, me gratifiant de lettres encourageantes, - que je conserve religieusement comme des reliques- mais sans complaisance, dans lesquelles il me donnait son opinion précise, sur mon dernier livre, j’ai ainsi la preuve orale[73] et écrite, qu’il avait particulièrement aimé au moins deux de mes romans : « Les femmes de Jean »[74] et : « La Genèse ou l’amour fou »[75]  et beaucoup apprécié mon Essai sur ma part de judéité : Être ou ne pas être     juif  ? [76], préfacé par le philosophe et écrivain Pascal Bruckner, dont il admirait la lucidité et le courage.

    Quand j’allais lui rendre visite dans son appartement du 5 de la rue Saint Merri, à quelques pas de l’Hôtel de ville de Paris, où il a vécu sans interruption en tant que locataire plus de soixante ans, nous parlions de politique, de littérature, mais aussi beaucoup de notre famille, il tenait absolument à être en paix avec les siens, (il disait Les miens) et sur le tard, il était en demande, il me sollicitait pour que je lui rende visite et il insistait quelquefois pour que je dîne avec lui, et que je reste au moins jusqu’au lendemain matin.

    Un soir, cherchant un livre pour moi, il me proposa de réorganiser ses bibliothèques, plusieurs mètres linéaires le long d’un couloir. Cela m’avait beaucoup excité, mais je n’ai pas été assez loin. Aujourd’hui je le regrette.

     

    *

     Malgré ma grande proximité avec lui, ce qui avait toujours dominé, c’était un mélange de respect et d’affection, mais je sentais que nos relations devenaient enfin seulement fraternelles, et je me voyais grandir à ses yeux. Des années après la mort de sa femme Germaine, née Dubach, survenue en 2009, j’ai été surpris -et amusé, il devait tout de même avoir près de quatre-vingt-treize ans- qu’il me demande, moi qui ai eu plusieurs femmes dans ma vie, si je pensais qu’il pourrait encore avoir une relation amoureuse, et si j’avais une idée sur la méthode à suivre. J’ai naturellement été très touché par sa confiance. Je ne dévoilerai pas la suite.

       Mais, tout de même, toute sa vie, et jusqu’à sa dernière heure, il resta intraitable sur un point, il fallait prendre rendez-vous pour le voir, jour et heure à lui proposer, au moins deux jours à l’avance, mes sœurs, Ginette et Denise, - Ida vivait en Israël depuis longtemps -et surtout ma sœur Mado dont il était pourtant très proche-, en avaient beaucoup souffert. Elles disaient leur incompréhension et combien elles étaient choquées de ne pas pouvoir être reçues à n’importe quel moment par leur frère. Je tentais de les rassurer en leur expliquant qu’Albert ne pouvait pas recevoir plus d’une personne à la fois, car il aimait être totalement disponible et attentif à son interlocuteur du moment, il détestait voir des visiteurs parler entre eux, en sa présence.

       Au cours de mes visites, il me posait des questions comme s’il vivait en reclus, comme un moine, ce qu’il était du reste en quelque sorte, il aimait beaucoup écouter, humblement, et quand il souriait, de ce sourire plein de bonté qui illuminait son visage, je me sentais gratifié. En revanche, je ne crois pas l’avoir jamais vu rire aux éclats.

       Mon frère était un homme austère, très mature avant l’âge, ma mère me confiait qu’il n’avait jamais joué comme les autres enfants, qu’il réfléchissait trop, ce qu’il m’a confirmé lui-même. La raison ? Tout simplement, il ne voulait pas perdre son temps.

       Ce que je peux affirmer, c’est que mon frère a toujours été très réservé et infiniment pudique, jamais enclin à des démonstrations de tendresse, mais je mettais son attitude sur le compte de la timidité.

       Albert était très différent de tous les membres de la fratrie, le seul persuadé que le salut viendrait d’études solides et d’un bon métier, et il nous le martelait. Pourtant il m’avait avoué un jour qu’il aurait pu, par lassitude mais plus certainement par fidélité devenir bourrelier, comme l’avait rêvé notre père pour son fils aîné, ou un tout autre artisan, mais que trop imbu de lui-même, trop ambitieux, il tenait à accéder à un monde meilleur, c’est-à-dire pour lui, acquérir une culture solide, pas peu fier en fin de compte d’avoir été un professeur d’université, il aimait le rappeler.

       Il nous protégeait, luttait contre notre père pour éviter que nous abandonnions trop tôt notre scolarité, et que nous nous encrassions dans la boutique de bourrellerie paternelle. Il a été le seul à avoir osé affronter notre père, à ne pas lui céder. Leurs querelles, au grand jour, nous effrayaient. Il était intransigeant, on dirait aujourd’hui : droit dans ses bottes, il défendait ses convictions avec force et passion, et même quelquefois avec virulence, ce qui provoquait en lui de grandes colères, -j’en parle bien entendu en tant que témoin, et cela me révélait ainsi une autre face, plus sombre de lui, tant au sein de notre famille qu’ailleurs lors de débats publics auxquels j’ai assistés, combien de fois l’ai-je entendu me dire, lorsqu’il évoquait avec moi ses emportements intempestifs, anciens ou récents, qu’il regrettait amèrement ce laisser-aller stérile qui ne lui procurait que des ennemis.

       C’est peut-être pourquoi Albert n’a jamais aimé les médias, s’en méfiant par principe, ou se méfiant de lui-même, persuadé qu’il avait mieux à faire en écrivant chez lui. Je lui faisais remarquer qu’il risquait alors de ne pas être connu du grand public, mais c’était son choix.

    Voilà ce que je l’entends encore me confier, au fil de ces années passées.

     

    *

    Rarement un écrivain, n’a eu, autant qu’Albert Memmi, à cultiver la maïeutique socratique, ce fameux Connais-toi toi-même pour comprendre les autres et le monde et accéder à l’universel. Cet homme, mon frère, a construit toute son œuvre à partir d’une introspection permanente de lui-même.

     

    *

       À la 4e de couverture de son livre Le nomade immobile, publié en octobre 2000, à deux mois de ses quatre-vingts ans, on peut lire :

     

    Observant que le temps lui est désormais compté, Albert Memmi entend organiser au mieux celui qu’il lui reste. Parce que la courbe de son œuvre coïncide avec celle de sa vie et qu’il fut le témoin ou l’acteur d’événements qui ont marqué le siècle, il nous révèle dans ce livre-bilan son enfance, puis sa vie d’adulte tout entière incluse dans le monde des idées. "Le nomade immobile" apparaît alors comme la clef de voûte des quelque trente ouvrages qu’il a publiés. 

     

    C’est exactement ce que j’ai toujours pensé. Et à la dernière page de ce livre qui en contient 278, d’une richesse inouïe, mon frère écrit : « J’aimerais bien disposer encore de quelques années pour vivre plus complètement sans regrets ni remords ».

    Les dieux de l’univers, auxquels le farouche rationaliste qu’il a toujours été, n’a jamais cru, lui ont pourtant accordé neuf ans de plus pour faire publier en 2004 son si polémique Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres et en 2005 un nouveau livre sous forme d’entretien sur le thème qui lui est si cher : L’individu face à ses dépendances et enfin en août 2009, il a alors quatre-vingt-neuf ans, il trouve la force de livrer un ouvrage d’une très forte densité : Le testament insolent, publié par Les éditions Odile Jacob, qui reprend tout son parcours, sa vie, ses idées et ses combats en donnant des clefs pour expliquer ce qui relie chacun de ses livres à l’ensemble de son œuvre. Un livre qui constituera une fois de plus un livre de chevet pour des générations entières, dans lequel il traite, notamment, des tensions entre cultures, de la question de l’identité et des racines. Autant de sujets d’une actualité toujours brûlante. Albert était un visionnaire, mais il n’a pas été reconnu à sa juste valeur, et il le savait.

    Comment pourrait-on dire, après tout cela, que cet homme, ce frère que je vénère, n’aurait pas accédé, par ses écrits, à l’universel, alors qu’il traitait des problèmes auxquels toute l’humanité est confrontée.

       Les 17 ouvrages qui constituent ses Essais forment selon moi, le corpus, la colonne vertébrale, l’essentiel de tout le travail de chercheur d’Albert en tant que philosophe et sociologue et qui contiennent sa quête incessante pour trouver des réponses aux problèmes posés par le racisme, la colonisation, (son Portrait du colonisé avait été sélectionné parmi les cent œuvres qui ont marqué notre siècle), la laïcité, la dominance, la dépendance, la famille, le couple, la religion, la politique, mais aussi la recherche du bonheur avec ses délicieux petits billets parus dans le journal Le Monde regroupés dans trois livres, Albert n’accède-t-il pas, sans aucun conteste, à l’universel ? Ainsi quand il écrit ses deux Essais sur sa part de judéité, même s’il a intitulé son 1er livre Portrait d’un juif et non du Juif, c’est bien le Juif dans toutes ses dimensions, ses caractéristiques, sa problématique qu’il décrit minutieusement, d’où l’universalisme. La preuve, s’il en est besoin, le livre qui suit, et qui s’intitule La libération du Juif, est dédié à tous ceux qui luttent pour leur liberté.

    Enfin je ne résiste pas non plus au plaisir de citer la dernière phrase de son livre Testament insolent :

     

    Je sais que je n’ai pas le goût du malheur, et que je fais tout ce que je peux pour l’éviter. Si je ne m’étais pas édifié cette petite sagesse, vu le nombre de difficultés que j’ai dû surmonter, je me serais probablement détruit. Or, jusqu’ici, je me porte bien, et j’espère continuer ainsi. 

     

    N’est-ce pas admirable ? Et le destin, ou plutôt le hasard pour reprendre le mot que mon frère aurait préféré que j’emploie, (ou bien plutôt une bonne santé physique et mentale) offrira à cet homme de bien, encore neuf ans de plus après son dernier livre, pour seulement méditer et répéter devant moi, et devant les gens qu’il aimait, que son plus grand bonheur est de se mettre en paix avec les siens. Et en cela, je suis convaincu qu’il nous a quittés en paix presque centenaire le 22 mai 2020.

    Encore un mot, à plus de quatre-vingt-dix ans, le mercredi 9 février 2011 exactement, il accepte de débattre sur le plateau de télévision de France 3, à l’émission Ce soir ou jamais animé par Frédéric Taddéï autour de la question d’une possible démocratisation ou non du monde arabe après les événements de Tunisie et d’Égypte,- que l’on a appelé les printemps arabes-, le journaliste le présente comme, je cite : » un écrivain français né en Tunisie, au croisement de trois cultures, juive, arabe et française, militant de la non-violence, et il ajoute : « Memmi a développé de nombreux concepts dont celui d’hétérophobie[77], ce refus d’autrui au nom de n’importe quelle différence. Albert développe alors des idées fortes avec vivacité et conviction, et parfois même avec véhémence, voire avec vulgarité puisqu’il lance au visage d’une avocate algérienne qui n’est pas d’accord avec lui, ce « je vous emmerde », plus qu’intempestif. J’ai été témoin de la scène. Il me dira plus tard avoir bien regretté cet emportement stérile, comme toujours.

       Je voudrais aussi citer cet article de six pleines pages en français et en anglais publié dans le magazine d’Air France en juin 99 sous le titre Itinéraire d’un sage, enrichi de quelques belles photographies, probablement passé inaperçu parce que seulement feuilleté distraitement par les passagers d’Air France, (sous la plume d’un journaliste grand reporter au journal Le Monde, que mon frère avait reçu chez lui), et pourtant d’une très grande qualité et très exhaustif,, il suffit de lire les titres des paragraphes pour s’en convaincre :

     

    Itinéraire d’un homme du ghetto de Tunis à la Sorbonne, Le fils du bourrelier Memmi est devenu Professeur d’Université, Philosophe qui refuse ce titre, écrivain, sociologue, Juif et laïque, militant il symbolise la complexité des identités méditerranéennes, Tunis mais aussi Paris lui rappellent sans cesse sa condition de colonisé, Pour lui, la laïcité est la seule voie de l’intégration, (Mon frère avait vu juste depuis longtemps) un juif pas comme les autres, il cultive la simplicité comme l’un des beaux-arts. 

     

       Albert Memmi, mon frère, tu étais, certes, un être complexe, mais si attachant que tu me manques cruellement.

       Pour conclure, j’aimerais citer tes propres paroles[78], répondant à l’écrivain marocain Victor Malka qui te demandait : « Vous êtes superstitieux ? ». Tu répondais : « oui, pour rire, mais continûment… Avec de la chance, au-delà de ma mort[79], par la radioactivité qu’elle aura communiquée à mes quelques livres… ».

       Pour le rationaliste[80] convaincu que tu affirmais être, n’est-ce pas paradoxal ? Mais c’est si joliment dit. Et moi qui ne suis pas superstitieux non plus, j’ai envie de te dire que si tu existes encore, quelque part, dans un monde interdit aux mortels, je te souhaite, mon cher frère Albert, une douce béatitude dans une éternité heureuse… Pas trop studieuse, tout de même.

     

     

    Max Memmi est le plus jeune de la fratrie des Memmi, qui compte quatre garçons et quatre filles et dont l’ainée est Eugénie et le second Albert. Max Memmi a 15 ans de moins que son frère Albert, dont il a toujours été très proche.

    Il est né à La Goulette proche de Tunis. Il a fait sa scolarité en Tunisie à l’école primaire Bab-El-Khadra, puis au collège Alaoui et enfin au lycée Carnot. Après avoir quitté définitivement la Tunisie en 1957, il a poursuivi ses études universitaires à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris-Sorbonne, puis à l’ICH. Il a été successivement directeur de crédit dans une banque parisienne, puis a occupé différents emplois de direction générale dans deux groupes textiles, avant d’être nommé à la tête d’une holding financière.

    Parallèlement à sa carrière professionnelle, Max Memmi est l’auteur de plusieurs romans et d’un conte biblique La Genèse ou l’Amour fou, ainsi que de plusieurs Essais dont La France en partage (remarqué pas l’Éducation nationale) et Être ou ne pas être juif ? Telle est la question. Pourquoi ? préfacé par le célèbre écrivain et philosophe Pascal Bruckner.

    Max Memmi finalise actuellement un ouvrage sur l’histoire de la famille Memmi intitulé de la Belle Méïra à la belle Léïla, qui sont les prénoms de sa mère et de son arrière-petite fille.

    Liste complète des ouvrages de Max Memmi : Aux éditions Orizons-Paris :
    Les femmes de Jean. Roman, 2015. La belle Peule et le comptable. Roman, 2016. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Roman, 2017.
    La Genèse ou l’amour fou. Conte biblique, 2018. Dans la collection Beaux livres : À la recherche du corps. Photographies et textes de Max Memmi. Textes illustrant les photographies : Angélique Philippe, 2019.Mathilde, une passion à Oléron. Roman, 2020. Le cadet des Fabert. Roman, 2021.

    Aux éditions L’Harmattan-Paris : La France en partage. Essai, 2015. Pour un nouvel humanisme. Essai, en collaboration avec Luc Daudonnet. 2016. Cette France que nous aimons. Essai, 2016. Être ou ne pas être Juif ? Telle est la question. Pourquoi ? Essai, préfacé par Pascal Bruckner, 2017.

    Chez d’autres éditeurs, ouvrages plus anciens épuisés : Marguerite ou la mort de l’homme. Roman, Les Lettres Libres-Paris. Anthologie, Poésie et nouvelles. Ouvrage collectif, Paris, Les Lettres Libres. Les chemins croisés du corps et de l’esprit. Roman, Nantes, Amalthée.

     

     

     

     

    [1] Ma. bibliographie complète et une biographie sommaire sont à la fin du texte.

    [2] Si je mets entre parenthèse les quatre autres livres publiés à l’initiative et sous la direction de son biographe Guy Dugas. Portraits (2015), Tunisie An I (2017), Journal de guerre (2019) et Les hypothèses infinies (2021). Tous chez CNRS éditions.

    [3] La terre intérieure. Entretien, Paris, Gallimard, 1976.

    [4] Ce que je crois. Essai, Paris, Éditions Grasset. 1983.

    [5] Le Nomade immobile. Essai, Paris, Éditions Arléa. 2000, Poche 2001. 

    [6] Le testament insolent. Essai, Paris, Éditions Odile Jacob, 2009, son dernier ouvrage, il a alors 89 ans.

    [7] Portait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur, préface de Jean-Paul Sartre, Paris, Éditions Corréa, 1957, puis 1961, 1966, etc., Paris, Gallimard 1985 puis Folio en 2002 et suivants. Son livre qui a eu certainement le plus grand retentissement non seulement en France mais dans le monde.

    [8] La statue de sel. Récit, Éditions Corréa, 1953, Éditions Gallimard, 1966, Folio, 1972 et suivants.

    [9] Agar. Récit, Paris, Éditions Buchet Chastel, 1955, puis 1963 et Folio en 1984.

    [10] Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres, Paris, Éditions Gallimard. 2004, Folio 2005, 2007 et suivants. 

    [11] Portrait d’un juif, Paris, Éditions Gallimard, 1962, Folio 2003.

    [12] Portait d’un juif, Collection Idées NRF, 1969.

    [13] La libération du Juif, Paris, Éditions Gallimard, 1966.

    [14] Op.cit.

    [15] Alors qu’en réalité il n’y a vécu que six ans. C’est aussi pour cette raison qu’il était sous le charme de ma sœur Mado qui lui parlait quelquefois en judéo-arabe. Elle savait- la rouée- qu’il aimait ça, parce que cela lui donnait l’impression de se rapprocher des siens. .

    [16] Le scorpion ou la confession imaginaire. Récit, Paris, Éditions Gallimard 1969 puis Folio 1986.

    [17] Le désert ou la vie et les aventures de Jubaïr Ouali El-Mammi. Récit, Editions Gallimard 1977. Folio 1989.

    [18] Le Pharaon. Récit, Paris, Editions Julliard, 1988, puis éditions Le félin 2001.

    [19] Et aujourd’hui, dans tous les débats sur le colonialisme, qui fait référence à Albert Memmi ?  Je l’entends encore me marteler : « J’ai tout dit sur le sujet, depuis on me plagie, on me copie, sans état d’âme. »

    [20] Op.cit.

    [21] Victor Malka : journaliste et écrivain juif, français, d’origine marocaine.

    [22] Voir le magazine d’Air France de juin 1999, l’article intitulé « itinéraire d’un sage ».

    [23] Je suis l’auteur de 8 romans et 4 Essais, mais je ne me suis toujours bien senti à l’aise que dans la fiction, dans l’invention d’histoires et de personnages qui m’accompagnent tout au long de l’écriture. Je me sens aliéné dans la réalité, l’impression de perdre ma liberté, alors que chaque création de roman est jubilatoire parce que je suis le maître d’œuvre, tandis que la construction d’un Essai, dont je comprends pourtant la nécessité, m’épuise.

    [24] En plus de son œuvre personnelle proprement dite, citons Anthologie des littératures maghrébines (en collaboration), Éditions Présence africaine, I-1966. II-1969. Écrivains français du Maghreb (en collaboration), Paris, Éditions Seghers, 1985. Le roman maghrébin, Paris, Éditions Fernand Nathan, 1987.  

    [25] En réalité je n’ai jamais pu trouver la moindre preuve de l’existence de ce Victor, peut-être n’a-t-il jamais existé ?

    [26] Si un garçon était né après ma sœur Ida et une fille après moi, mon père aurait ainsi réussi l’exploit de concevoir ses dix enfants en alternant  à chaque fois une fille et un garçon.   

    [27] Agar, p. 49 dans l’édition de 1963. 

    [28] Le prénom de l’épouse d’Albert.

    [29] Extrait de son Journal intime, 1936-1962 publié par CNRS éditions en janvier 2021 sous le titre Albert Memmi. Les hypothèses infinies, édition établie et annotée par Guy Dugas, Février 1954, p .888.

    [30] Op.cit., p 1022.

    [31] Je respecte les chiffres arabes qu’utilise Albert dans son journal. 

    [32] Pour Albert, ces scènes le renvoient trop aux mêmes conditions de vie qu’il a dû subir chez ses propres parents, promiscuité sordide, etc. Ce minuscule appartement, situé au rez-de-chaussée du 1 passage Grammont, où se sont entassés pendant de longues années, ma sœur Ginette et sa nombreuse famille, mes parents l’avaient occupé avant elle de 1926, après leur départ de la Hara (ghetto juif) jusqu’en 1941 jour du mariage de ma sœur, et après avoir obtenu de mon oncle Elie Sarfati, propriétaire de tout l’immeuble, un appartement, avec balcon, un peu plus confortable au 2e étage. 

    [33] Op.cit., p. 1327.

    [34] Le scorpion, Folio, 1986, p. 27.

    [35] Op.cit., p. 31.

    [36] Mon frère obtiendra du reste, beaucoup plus tard, le grand prix de la francophonie, le prix le plus prestigieux parmi les très nombreux qui sont décernés tous les ans par l’Académie française.

    [37] Ben Illouche, qui signifie : « fils de l’agneau » en judéo-berbère.

    [38] Le mot en arabe signifie simplement quartier, mais la Hara a fini par ne désigner en Tunisie, comme du reste en Algérie, en Libye et en Égypte, le seul quartier juif, un quartier pauvre, presque misérable. Au Maroc, ce quartier s’appelait le Melah, qui signifie « le sel « en arabe, ce qui me plaît davantage. Les Juifs : le sel de la terre ! Quand on pense à ce que représente le sel pour les hommes, un bien très précieux pour nos ancêtres, mais dont on ne pourrait toujours pas se passer.

    [39] La terre intérieure, pp. 174-180.

    [40] Op.cit., p. 22.

    [41] Mais plus tard, dans tous ses livres, il affirmera le contraire.

    [42] Je n’ai jamais connu mon père invalide, au sens strict, en proie seulement à de violentes crises d’asthme, mais toujours vaillant et travaillant durement dans sa boutique de bourrelier où je lui rendais souvent visite. 

    [43] Il est incontestable que c’est Albert qui a hérité le plus des qualités et des défauts de notre père. Cela se révèlera tout au long de son existence et il en sera bien conscient puisqu’il en parle dans ses livres.

    [44] Il écrira plus tard, et me le confirmera dans nos conversations, qu’elle était plus intelligente que lui, jusqu’à affirmer, qu’à côté d’elle, mon père était un décadent. Ce sont ses propres mots. En fait, ses sentiments à l’égard de notre père ont toujours été plus qu’ambiguë : un mélange de respect et en même temps de pitié.

    [45] En réalité très rouée, puisqu’elle avait toujours le dernier mot.

    [46] C’est exactement ce que j’ai toujours pensé, et c’est bien notre mère qui nous a donné le goût de l’écriture, alors que, paradoxalement elle était illettrée, mais elle avait en elle des ressources extraordinaires.

    [47] Je sais que mes parents ont souffert de n’avoir pu assister aux mariages religieux que de trois seulement de leurs enfants, ceux de mes sœurs Ginette, Mado et le mien. Ma sœur Ida s’est mariée en 1947 dans un camp de transit dans l’ile de chypre en attendant de gagner la Palestine sous mandat britannique, ma sœur Denise avait épousé un catholique, mon frère George s’est marié très jeune à Alger où il s’était enfoui avec une jeune fille de la bourgeoisie juive tunisienne, reste Charles devenu Igal qui s’est marié en Israël en 1963, l’année de la mort de notre père.

    [48] Mon père était pieux, c’est-à-dire croyant et pratiquant, puisqu’il allait prier à la synagogue et tenait à célébrer en famille les principales fêtes religieuses juives. Il possédait une belle bible ancienne qu’il rangeait avec respect dans une housse en velours bleu brodé à ses initiales FM, J’ai raconté cela dans mon roman Les femmes de Jean, Paris, Éditions Orizons, 2015.

    [49] Je fus le premier de la famille à qui Albert présenta son épouse Germaine. J’avais onze ans et je me trouvais en Seine-et-Marne, dans le château de Pontault-Combault transformé en centre de colonie de vacances pour de jeunes orphelins de la guerre, où mon frère m’avait fait admettre, tellement j’étais petit et maigre. Albert m’expliquait qu’il fallait rentrer à Tunis pour préparer ma Bar-Mitsva (communion des juifs) et reprendre ma scolarité à l’école primaire Bab-El-Khadra. Je faisais de la résistance pour ne pas quitter ce paradis où je découvrais entre autres les joies de l’agriculture.

    [50] A la mort de mon père en avril 63, j’ai été témoin de son profond chagrin, lui qui trouvait pourtant encombrant la présence de nos parents à Paris- source de soucis-, ce jour-là, en voyant son père mourir, il était réellement bouleversé. 

    [51] Bonheurs, Paris, éditions Arléa, 1992, Arléa « Poche », 1998. Ah, quel bonheur ! Paris, Éditions Arléa, 1995, Arléa » Poche », 1999. Ces livres regroupent tous les fameux et si délicieux « billets » parus dans le journal Le Monde.

    [52] Toutes ces informations vont compléter ce que je sais déjà et m’aider dans la rédaction de l’ouvrage que j’ai entrepris d’écrire sur ma famille déjà depuis quelques années : « De la belle Méïra à la Belle Léïla, histoire d’une tribu » que j’espère enfin achever prochainement. .

    [53] Notamment mes tantes Fellous et Azoulay, mon oncle Sarfati.

    [54] Nous avions plusieurs voisins qui sont devenus célèbres, notamment les Moati et les Seguin.

    [55] Albert ne pouvait évidemment pas imaginer à l’époque, que quelques décennies plus tard, il se comporterait exactement comme notre père, refusant catégoriquement qu’on le laisse seul, « ne serait-ce qu’une minute. » ainsi pour ne citer qu’un exemple, mon frère Georges m’a raconté qu’un jour, l’ayant invité chez lui à Cannes, il avait souhaité aller se promener avec sa femme et contraint de laisser Albert dans l’appartement, ce qui avait provoqué la colère de ce dernier. J’ai eu, sans l’avoir sollicité, la version d’Albert, il avait été pris de panique à l’idée d’être « abandonné ».

    [56] Il a pourtant été élu le 17 octobre 1975 à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer au 15 rue La Pérouse dans le 16e arrondissement de Paris et obtenu au cours de sa vie de nombreuses autres décorations et distinctions, dont la Légion d’honneur des mains du Président de la République François Mitterrand.  

    [57] De toute la famille, je fus le seul à avoir été invité.

    [58] Albert n’a jamais voulu reconnaitre qu’il avait acquis une aisance financière qui le mettait totalement à l’abri du besoin. Une aisance, certes relative, mais aisance tout de même. Un jour où j’admirais sa vaste et belle collection de La Pléiade, il me précisa que cela devait valoir aujourd’hui beaucoup d’argent. Même remarque pour ses manuscrits qu’il croyait pouvoir peut-être négocier.

    [59] Il avait beaucoup hésité, et, chaque fois qu’il m’en parlait, je l’encourageais vivement à le faire.

    [60] Ma sœur Mado avait également été invité et mon frère Albert s’était prêté avec beaucoup de gentillesse à des séances de photons de nous trois.

    [61] Et par la suite, dans bien d’autres circonstances, (en priant les lecteurs de me pardonner ma franchise, révéler ces faits n’est pas très glorieux) quand, par exemple, après une réception qu’il avait organisé autour de quelques amis écrivains - dont Eugène Ionesco à qui j’ai offert toutes les photos que j’avais prises-, pour fêter sa légion d’Honneur, il voulut emporter les restes du buffet sous prétexte que c’était lui qui avait tout payé. Je réussis heureusement à l’en dissuader, ou quand, après la cérémonie à l’Académie française, malgré leur fatigue à son épouse et lui, il voulut rentrer en métro. Je décidais de prendre un taxi et de les déposer chez eux avant de gagner mon propre domicile.  Sur un tout autre plan, il se plaignait également que ses livres publiés en Afrique du nord ne lui ai jamais rapporté le moindre sou. Etc.

    [62] Il a bouclé sa classe de terminale avec succès, mais il est encore en pleine confusion. Il rêve de devenir médecin, mais aussi pourquoi pas avocat, il se dirigera finalement vers la philosophie. À 19 ans, il obtient le 1e prix d’honneur au concours général de philosophie.

    [63] En réalité, pas pour très longtemps, ma sœur Ginette puis ma sœur Ida quitteront l’appartement quelques années plus tard.

    [64] Georges a 11 ans et demi, Charles 6 ans. Je les percevais comme les deux « bagarreurs » de la fratrie, mais si Georges se stabilisera vite et deviendra cet homme élégant et cultivé qui réussira brillamment, Charles devenu Igal quand il s’installera en Israël, restera une « tête brulée ». (À mes yeux en tous cas). De ce dernier, mon cadet d’à peine 20 mois, je garde le souvenir de quelqu’un qui m’a beaucoup harcelé et tyrannisé. 

    [65] C’est ainsi que toute la fratrie m’a appelé jusqu’à mon adolescence – et même plus tard encore- parce que j’étais le dernier né et petit de taille, jusqu’au jour de l’irruption dans notre vie de Germaine, à l’été 47, la femme d’Albert, qui exigera que l’on me rétablisse mon prénom de Max, ce qui ne se fera que très progressivement. 

    [66] Ma sœur Madeleine a 8 ans. Celle, parmi tous les membres de la fratrie qui a été la plus impressionné par les épouvantables crises d’asthme de notre père, qu’elle hébergera à Paris jusqu’à sa mort.

    [67] Ma sœur Ginette trois ans de plus qu’Albert, elle s’est mariée et quitté la famille en 1941, donc à peine deux ans après la scène qu’il décrit et c’est à cette date, que, lui cédant le minuscule appartement que nous occupions, en effet à 10, au rez-de-chaussée du 12 passage Gramont, nous nous installons au 2e étage du même immeuble dans un appartement un peu plus confortable avec balcon.

    [68] Ma sœur Ida a 16 ans. Elle quittera définitivement Tunis pour la Palestine en 1947.

    [69] Je doute vraiment de cette heure si tardive !

    [70] Pour avoir fait mainte fois ce trajet quand j’étais moi-même en 1e dans ce lycée, je peux dire qu’entre le Lycée Carnot (devenu lycée pilote Bourguiba de Tunis après l’indépendance de la Tunisie) qui était situé à l’avenue Roustan (devenue l’avenue Habib Thameur) et notre appartement, il n’y avait guère que 15 mn de marche. Surpris donc de la note d’Albert.

    [71] Je revois ce tout petit garçon dans un coin de la pièce qu’occupait Albert, pelotonné comme un chat fidèle qui observe son maître silencieusement mais amoureusement. Il y a des pages très drôles à mon sujet dans son journal intime.

    [72] Notre père est mort aveugle et Albert me confiait sa terreur de perdre la vue comme notre père. Cela a toujours été également ma plus grande angoisse.

    [73] Des enregistrements où l’on peut constater l’évolution de la voix, comment un être humain devient un vieillard.

    [74] Les femmes de Jean. Roman, Paris, Éditions Orizons, 2015.

    [75] La Genèse ou l’amour fou. Conte biblique, Paris, Editions Orizons, 2018. 

    [76] Être ou ne pas être juif ? Telle est la question. Pourquoi ? Essai, Paris, Éditions L’Harmattan, 2017 .

    [77] Dont l’Encyclopédie Universalis en a fait un article de fond important. 

    [78] La terre intérieure, p. 71.

    [79] N’est-ce pas la suite logique de ce qu’il écrivait dans son journal le 22 juin 1942, soit 33 ans plus tôt : « Quand j’en ai fini avec la terre, je me perds dans le ciel. Il est immense. Aussi loin que va le regard, il ne découvre pas de limite. Toutes les hypothèses infinies* sont justifiées. Il y a sûrement d’autres mondes et jamais une fin ». * Deux mots que le professeur Dugas a choisi comme titre à son ouvrage regroupant le Journal intime d’Albert de 1936 à 1962.

    [80] CF. Il s’est vu décerné le prix de L’Union rationaliste en 1994. Voir aussi ses prises de positions dans A contre-courants, Éditions Nouvel objet, 1993 et Dictionnaire critique à l’usage des incrédules, Éditions du Félin, 2002. Et aussi Ce que je crois.

     

  • Le prix Nobel de littérature

    Le prix Nobel de littérature est donc décerné cette année à l'écrivaine Annie Ernaux. Malgré les prix qu'elle a déjà obtenus par le passé, en 1984, 2008 et 2016, et le succès qu'elle rencontre auprès d'un large public, j'ose avouer que je n'ai aucun goût pour sa "littérature". Tous ses livres sont entièrement autobiographiques, jamais un seul vrai roman de fiction, un style plat, neutre, minimaliste, sans jamais la moindre métaphore. J'avais été sensible à ses trois premiers récits, qui m'avaient émus, mais depuis toutes ses prises de position politiques, extrêmement tranchées et radicales, toujours orientées dans la même direction ( je ne veux pas entrer dans le détails ni donner le moindre exemple pour ne pas créer de polémiques toxiques et inutiles, tout est dit dans l'encyclopédie en ligne Wikipaédia) ) je me suis totalement détourné de ses livres.
    Je suis convaincu que ce prix Nobel est lui-même éminemment politique, parce que le jury du Nobel a connu beaucoup de remous en son sein sur des sujets proches de ceux traités par Annie Ernaux.
    Je pourrais citer 10, 20, 30 écrivains français et étrangers qui mériteraient infiniment plus ce prix Nobel de littérature. Mais voilà, politique oblige. Enfin, vous l'avez compris, cette dame de" lettres" , qui se définit elle-même du reste, comme une simple femme qui écrit sur des sujets de société en se servant de son propre vécu, n'est pas du tout ma tasse de thé.

  • Le cadet des Fabert

     
     
     
    Ci-dessous le texte d'un article publié dans L’ÉCHO DU SOIR D'ALGER: MAX MEMMI, BERNARD PIVOT, DEUX ÉCRIVAINS, DEUX ALTERNATIVES
    Par un heureux concours de circonstance, Max Memmi m’a envoyé son dernier roman, Le cadet des Faber, éditions « Orizons », 2021. Orné d’une belle dédicace en page de garde, j’en ai fait une priorité de lecteur par rapport aux ouvrages acquis lors du dernier Sila. ( Salon international du livre d'Alger) Frère d’Albert Memmi, le plus connu de la fratrie, me semble-t-il, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Marguerite ou la mort de l’homme. Bien sûr, ce natif de Tunis (La Goulette) doit être redécouvert pour avoir une idée précise sur son itinéraire.
    Néanmoins, quand j’ai ouvert ce roman, je n’ai pas pu m’arrêter, tellement l’intrigue m’a attaché à la succession des pages. Sa lecture est aisée, servie par une linéarité intelligente, une linéarité à rebondissement, où le héros Faber, est-il vraiment un héros ou une victime d’un destin noir, redécouvre en fait ses frères et sœurs, chacun dans un coin de France, sans réel contact entre eux, sinon à des moments particuliers. Cette linéarité ne rebute pas le lecteur, bien au contraire ; elle lui permet d’aller d’un moment de vie à un autre d’une famille gigantesque par sa préfabrication sociale. Cette linéarité nous fait redécouvrir également cette écriture sage, du bon vieux français, cette écriture qui rappelle les Classiques de la littérature du 19 siècle.
    Justement, en lisant le roman de Max Memmi, je ne sais pas pourquoi j’avais cette belle impression de retomber dans des romans, comme ceux de Balzac, de Zola, et d’autres œuvres de ma jeunesse. Je ne verse pas dans la comparaison, ce n’est pas le but ; c’est juste pour vous faire toucher du doigt la précision du style de Max Memmi, et sa connaissance de la langue française. La phrase est correcte, la ponctuation à sa place. En lisant ce roman, je me suis retrouvé derrière un pupitre au lycée en train de disséquer le texte de ces grands auteurs français.
    Max Memmi a choisi de traiter dans son roman ce qu’on peut appeler une maladie secrète de certaines familles, l’inceste. Au sein de la famille Fabert, une famille d’apparence bourgeoise, voire plus, rien ne montre la cassure en son sein, par le fait du paternel qui commet l’inceste à l’encontre du cadet de la famille. L’auteur nous fait pénétrer un monde inimaginable, sous des apparences sociales d’une famille bien sous tous les rapports, alors que, au fil de la trame, le lecteur découvre l’horreur vécue par certains des enfants Fabert ? Il n’est pas question, ici, de donner le fil de l’histoire dans ses détails. Non ! Sachons seulement que Max Memmi est un véritable faiseur d’histoire sur des sujets de société sérieux et délicats à interpréter, sinon par des spécialistes de la tortueuse âme humaine. Car c’est de cela dont il est question dans ce roman, Le cadet des Fabert. Je n’ai pas eu à juger ni les hommes ni les faits. J’ai juste, encore une fois, démonté, grâce à l’auteur, les mécanismes honteux de la souillure humaine. Là, Max Memmi a su trouver les maux adéquats pour traiter un sujet aussi sensible. Bravo Monsieur !
    Bernard Pivot est connu, reconnu, célèbre parmi les littérateurs francophones, animateurs d'émissions culturelles célèbres, père des fameuses dictées de la télé publique française et, maintenant, membre de l’Académie Goncourt. Puis, une fois en retraite, il s’est mis à l’écriture ; et ce n’est que justice pour tout le travail qu’il a accompli pour et par le livre, pour et par les écrivains. On se rappelle tous des soirées mémorables de « Bouillon de culture ». Il sera question de son ouvrage (récit ?), … Mais la vie continue, Ed. Albin Michel, 2021, dans lequel l’auteur traite des petits bobos de la vie. Sauf que ces petits bobos se transforment souvent en ennuis de santé certains.
    Pris sur le ton taquin, il est question également de grand âge. Souvent du reste ces ennuis de santé sont liés à l’âge, comme si l’être humain usé par le temps, un peu dans une voiture, ressent (c’est le principe de la vie) quelques ratés au niveau des os, du cœur, des yeux, de la prostate ; ou pire quand il s’agit d’un cancer, par exemple. Le mérite de Bernard Pivot dans tout ça, c’est d’avoir réussi, avec sa verve et son entrain naturel, à dédramatiser ces problèmes techniques liés à la santé, en général.
    Agé de plus de 80 ans, Pivot raconte, avec amusement et gourmandise, les discussions de ses amis, souvent du même âge. Il déclare que les vieux parlent plus de leurs ennuis de santé que d’autre chose de la société. En fait, c’est l’histoire d’un groupe de potes octogénaires qui, au fil des rencontres, comme un rituel, passent en revue leurs soucis de santé. L’auteur les énumère avec une curiosité amusante ; sauf quand un ami vaincu par la maladie rend les armes. Là, c’est l’âme du groupe qui en prend un coup. A plusieurs reprises, j’ai senti énormément de tristesse dans le corps du texte, quand il est question d’accompagner un ami à sa dernière demeure.
    Il est vrai qu’à 20, dans la vigueur des épaules, on ne pense pas ni à la prostate ni au cholestérol, ni aux insomnies ni à l’angoisse du vieillard, etc. C’est au fil de l’âge que s’installe une organisation de prise en charge de nombre de bobos chez nous. Puis, sans qu’on se rende compte, on est confronté à une maladie de vieux. Dès lors, c’est la batterie d’analyses et de radios, quand ce n’est pas l’errance médicale. Parfois, on se retrouve à l’hôpital pour monter sur le billard, comme on dit prosaïquement. Parfois, on passe l’arme à gauche, pour être près du parler de monsieur tout le mon.
    De ces deux textes, j’ai retrouvé « les délices et les souffrances de l’écriture ». Mais également l’intérêt d’aller titiller les tabous de notre société, comme l’inceste, ou comme la décrépitude de l’être humain. Memmi et Pivot ont réussi, faut-il le rappeler, à m’enchainer phrase après phrase dans l’évolution du scénario, chez Memmi la famille Fabert et chez Pivot, les maux de la vieillesse. Et voilà ce que nous dit Pivot : « Les bilans annuels de santé sont aux vieux ce que sont aux jeunes les examens scolaires et universitaires. Les réussir signifie que nous obtenons au moins la moyenne dans l’analyse du sang et des urines. De bons scores dans les difficiles épreuves du cholestérol, de triglycérides, de la glycémie et de l’urée procurent beaucoup de satisfaction. Et même de la fierté. »
    Youcef Merahi.

  • Recherche secrétaire

    Message diffusé sur mon site Facebook :

    Mes pensées vont plus vite que mes doigts et mes yeux, j'enrage parce que cela ralenti considérablement ma passion de l'écriture. Et ainsi, mon nouveau projet de roman souffre de cette lenteur "mécanique". Y a -t-il quelqu’un (femme, homme, et même adolescent, quel que soit son âge) familier du clavier d'ordinateur et qui n’habite pas loin de chez moi, (Commune de Isle 87170) ou tout au plus en Haute-Vienne, qui accepterait de m'aider en tapant sous ma dictée ou au vu de mes textes manuscrits ? rémunération possible sur la base de chèques emploi services. Mille merci du fond du cœur !

    Contact: max-memmi@wanadoo.fr

     

    La nuit porte conseil, une idée a donc germé : pourquoi ne pas s’inspirer du télétravail ? Cela pourrait ainsi élargir mon champ de recherche. La personne qui accepterait de m’aider pourrait demeurer n’importe où, et même très loin de chez moi, je lui dicterai chaque jour par téléphone mes textes, qu’elle tapera et m’enverra par mail. A votre bon cœur ! J’attends les appels. Contact : max-memmi@wanadoo.fr