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Le texte de la postface de mon éditeur à mon nouveau livre Daniel Cohen, l'incandescent

Pour celles et ceux qui n'ont pas encore lu mon nouveau livre, je ne résiste pas au plaisir de vous livrer, en partage,  le texte de la postface à ce livre de mon éditeur. J'avais sollicité une préface, il a choisi la postface, en renvoyant ainsi,  en fin d'ouvrage ce qu'il avait à dire. J'ai aimé infiniment ce texte , et exprimé toute ma gratitude à son auteur, mon éditeur et ami, pour qui j'ai une grande affection et aussi beaucoup de respect : 

Postface
de Daniel Cohen
Max  Memmi a insisté pour que j’écrive une préface à
son ouvrage. Pudeur et certaine honnêteté auraient
dû m’en empêcher, mais il s’agit d’une demande d’un
homme chaleureux et qui, vis-à-vis de ma personne, n’a
jamais failli à la foi donnée à ses engagements. J’ai suggéré
que cela soit plutôt une postface afin de ne pas parasiter son
travail par une association trop voyante : le sujet et l’éditeur
de ce volume.
J’ai toujours eu du mal, non pas à écrire sur moi, l’en-
semble de mes textes le prouve — mais plutôt à commenter
les écrits que d’aucuns, touchés, ont dit aimer. Le projet
de Max Memmi remonte à 2017 , peut-être même à 2016 .
Il s’explique brièvement, dans son premier chapitre, sur
l’impasse devant laquelle il s’était retrouvé : comment commencer?
et dans quel cadre développer l’émotion que mes
récits avaient suscitée ?
Je vois, dans mes accomplissements, voire dans la traversée
des apparences, un constant sillon : celui de l’exil.
Dans ce cheminement, Memmi dit que l’amour brûle. Cette
marche s’achève parfois dans la mort de ceux qui ont partagé, même brièvement, cette tension suraiguë, ou encore
dans la séparation que les fatigues d’une longue union, ou
d’une plus brève, ont induites. L’écriture s’est imposée
comme moyen d’accompagnement ou de dépôt de bilan
dès mon adolescence.
Mon roman, encore inachevé, D’Humaines conciliations-
t (n’est paru que le volume I de la tétralogie, intitulé
Prague de leur fenêtre), mes mémoires ou mes essais, ont tiré
de l’exercice parfois tragique de ces rencontres, une forme
de bonheur. Je ne suis pas sûr, la force de l’âge aidant, que
l’idée du bonheur soit une vérité.
Max Memmi, que je ne connaissais pas, avant la fin
de 2015 , est apparu sur le petit écran d’Orizons pour une
proposition de publication d’un roman, Les femmes de Jean,
dont la couverture reprend le Portrait de Marie-Thérèse,
de Picasso, peint en 1937 . Ses trente-sept chapitres sont
agrémentés d’une citation de trente-six écrivains plus ou
moins glorieux ; l’une est de notre auteur — j’y vois un trait
d’humour plus que l’expression d’une fatuité. Les femmes
de Jean ont emporté ma décision. Depuis lors, j’ai accepté
de publier neuf  ouvrages, si je ne m’abuse, la plupart des
romans.
Je crois lui avoir téléphoné et indiqué que Les femmes
de Jean ferait partie de notre catalogue. Nous avons offert
une réception en son honneur et il y a participé.
Je lui avais demandé, dès notre premier contact, s’il
était apparenté à Albert Memmi. C’est notre aîné, avait-il
répondu. J’avais lu, adolescent, vers ma quinzième année,
peut-être même plus tôt, La Statue de sel, et, peu de temps
après, Agar, puis Portrait d’un Juif.
Aussi mesuré-je, au plus juste étalon, l’honneur qu’il
m’a fait, en associant parfois, dans ses analyses, mon travail
et celui d’Albert Memmi, écrivain français mondialement
réputé, peut-être le plus grand auteur juif, de langue française,, qui fût né en Afrique du Nord, au XX e siècle.
J’eus le plaisir de lui serrer la main à l’automne de
2017 je crois. Je passai, auprès des deux Memmi, une heure
éblouissante. Albert, à la veille de son 98e anniversaire, gardait
son intelligence altière et conservait le beau visage que
nous voyons dans les photos que telle encyclopédie ou tel
journal avait publiées en analysant son œuvre. J’aurais aimé
l’inviter à un repas mais certaine fragilité n’autorisait pas
une sortie de ce genre. C’est Max qui m’annonça sa mort le
22 mai 2020, alors que nous étions à peine autorisés à sortir
de notre premier confinement, lors de la grande crise sanitaire
 de la Covid de 2020-2022.
Max Memmi est ce qu’on appelait autrefois un « honnête 
homme » : son œuvre littéraire s’attelle à dresser des
portraits de femmes ou d’hommes de notre temps, en tout
cas du demi-siècle que nous venons de traverser. Il importe
peu de savoir si ses fictions s’inspirent de son expérience
personnelle — elles ont un parfum d’authenticité ; leur sensibilité
 et leur ironie sous-jacente nous enchantent.
Je partage avec cet homme les couleurs du terroir natal,
celui de notre enfance, lui à Tunis, moi au Sahara — il
a publié, chez Orizons, au début de l’été de 2022, un petit
essai qui narre, avec je ne sais quel piquant, l’infortune du
vieillissement.
Une biographie est un genre difficile. Memmi n’a pas
cherché à m’interroger en détail sur ce qu’a été le fond
de ma vie. Il disposait d’un autre matériau et le meilleur
à mon avis : mes livres. Leur topographie est traversée de
la réalité du monde : sa description, ses êtres, leur milieu,
leurs souffrances, leurs joies, leur volonté, leurs plaisirs. Si
« incandescent » que je paraisse, selon Memmi, expression
un peu incommode mais que je laisse telle quelle par refus
de toute censure, je suis un auteur des intérieurs si l’on
veut bien m’accorder cette expression. « L’idiosyncrasie est
notre maladie de valeur », écrivait Gide dans le plus beau
de ses livres, Paludes.
L’idée d’écrire sur mon travail, sur ma personne, lui
vint après la lecture du quatuor constituant Eaux dérobées
paru en 2010 . Puis il enchaîna avec les textes dans l’ordre
de leur parution, La femme nodale du Libanais Jad Hatem,
en 2003 , suivi d’autres études éparses du même auteur ; y
succédèrent l’ensemble de Dires croisés sur Eaux dérobées
de Daniel Cohen ( 2010 ) ; Une âme juive, méditations au-
tour d’Eaux dérobées de Daniel Cohen, de Monique Lise
Cohen ; Daniel Cohen, L’Écriture et la Vie, de Françoise
Maffre Castellani ; enfin, 80 Gy, Rayonnements de Daniel
Cohen d’Éric Colombo, ces trois derniers en 2014.
La trilogie du Trésor familier des rythmes, que j’ai fait
paraître en 2018 , méditation sur la maladie, productrice
d’écriture et, partant, analyse sur la littérature comme terrain
d’observation de soi et des autres, a donné un nouveau
coup de fouet au travail de notre auteur, quand bien même
mon sujet paraît trop universel pour sembler inédit.
Les écrivains, ou la plupart d’entre eux, trouvent leur
bonheur dans la réinvention perpétuelle du réel tel que la
communauté des hommes le fixe : vous êtes né à telle date
et mort à telle autre ; vous avez fait ceci et cela ; vous avez
réussi ; vous avez perdu. Proust, dès l’instant où je le lus,
adolescent, a irradié ce qu’il y a de plus sensible en moi ; son
intelligence du vivant humain et son regard m’ont appris
non pas à retrouver le monde d’hier mais à comprendre que
le temps n’est pas celui de l’état civil ni celui de l’Histoire.
Max Memmi n’est pas que bienveillant ; il n’entend
pas s’imposer un langage codé qu’excluent ses goûts et sa
nature. Il a pris pour méthode un excellent exemple : celui
des morceaux choisis qu’autrefois on privilégiait. Internet
s’est substitué, parfois cavalièrement, au souhait qu’avaient
alors les éditeurs de rallier de nouveaux lecteurs. Il espère
ainsi faire bouger les lignes.
Il n’est pas sans critiquer l’approche de ma narration
qu’il trouve, ici et là, trop « intellectualiste ». Il eût aimé
que mes ouvrages soient plus thématiques et, de la sorte,
séduisent le grand public. Je reste perplexe. Le gage des
sensibles, par ailleurs, demeure limité. La gloire n’est pas
immédiatement due au talent ; elle ne procède pas, quand
elle concerne le lecteur, d’un coup de cœur ou d’un rejet. En
édition, comme en tout commerce, mais plus particulière-
ment dans celui des livres, l’infrastructure de la distribution
et de la diffusion concourt bien ou mal à l’émergence des
talents. Ce n’est pas une question strictement contemporaine.
Nous glissons, depuis une vingtaine d’années, vers
une entropie : celle d’un système essoufflé par une production 
gigantesque. La réception d’un auteur devrait sourdre
et de sa sincérité et de son esthétique. Il est vrai : on écrit
selon la peau que la vie a tirée et selon l’expérience que nous
avons de l’autre, notre prochain et notre dieu en somme.
Il est beau qu’un auteur, comme Max Memmi, drôle,
alerte et agile, ait passé des années à travailler son projet,
à le reprendre maintes et maintes fois pour être au plus
près dudit « incandescent ». Serais-je, par nature, auprès
des autres, plutôt timide, il semblerait, au dire de notre
auteur que, dans mes textes, je semble avoir flambé dans la
chair et dans l’esprit, d’avoir dressé des constructions qui
auraient dû exiger plans et conseils ; comment démentir ?
À rebours, je suis d’une patience infinie avec les livres que
j’écris, n’hésitant pas à y passer des années et des années.
Pour D’Humaines conciliations (en son premier volet Prague
de leur fenêtre) et de sa partie critique Paris-Berlin / De la
déconstruction au XX e siècle. Itinéraires d’un lecteur, repris
à Un Saharien en son dire allemand, qui devrait sortir des
presses sous peu, je ne compte, je l’ai dit, ni les années ni
les bibliothèques avalées.
Dans le creusement et l’avancée de son travail, Memmi
me qualifie d’homme « étrange » et je comprends que mon
côté « fonceur » puisse décontenancer ; mais « l’étrangeté »
ressortit aux énormes responsabilités dont je me suis tou-
jours chargé. Je connais mal le gain, je révère l’action. Au
demeurant, notre auteur, après avoir posé la question, dit
ceci : « je lui exprimai, sans pudeur, toute mon affection ; je
l’aimai pour son immense culture et sa modestie, sa beauté
et son courage ».
En partant du principe que son travail vise le public
le plus large, il n’est pas sûr que cette postface, récrite tant
de fois, serve son objectif. Elle me permet néanmoins de
remercier son auteur qui, pendant des années, s’est attelé à
l’ingrat travail de repérer des unités thématiques et faciliter
une approche plus accessible de mes textes. Il n’est, dans
la plupart d’entre eux, qu’amour, continûment d’amour,
même si, alentour, tout relève invariablement de la vie et
de la mort.
Max Memmi sait que le principe de l’écriture est un
tout — dans la vie, on aborde les êtres qui nous entourent
avec les qualités et les défauts de notre tempérament. Ainsi
ai-je constitué la trame de mes livres. L’idée d’écrire autre-
ment ne me sera jamais naturelle. Pour ne pas dire impossible.
Toute écriture, si elle espère survivre, se doit d’être
enfermée dans le temps difficile de sa conception ; elle ne
doit pas en craindre l’âpreté, ni le perpétuel mouvement
qu’à l’intérieur d’elle-même elle draine.
S’il est, sur la terre des hommes, une geste, qui ressemblerait à un animal immortel, telle la méduse, ce serait
l’écriture. Sans elle, nous ne saurions rien de notre espèce,
de notre effroi, de nos espérances.
Selon le texte sacré, le combat, entre Dieu (Penouel) et Ja-
cob, s’est dénoué grâce à l’arrachement du nerf sciatique. Il
s’en serait suivi que le principe créateur aurait fait affleurer
l’écriture, un autre tourment, et peut-être, qui sait, un autre
impératif catégorique.
Y-a-t-il autre chose qui puisse mieux fixer notre pas-
sage — face à nous-même et face aux autres ?
Daniel Cohen, Paris, 20 octobre 2022

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