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La Revue de presse de Claude Askolovitch sur France Inter
lundi 25 mai 2020
Les livres d'Albert Memmi avaient éveillé la France au temps des colonies, le Monde, la Règle du jeu, le Point
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On parle de la langue française…
Qui fut le défi d'un garçon de Tunisie, qui était né dans l'arabe dialectal que parlaient ses parents et l'hébreu de l'école rabbinique où il fut inscrit à quatre ans, le français vint ensuite, c'était le temps des colonies, et au détour d'un destin, Albert Memmi, fils de Fraji qui vendait des licols pour les chevaux et de Maïra qui était analphabète, obtint une bourse pour le prestigieux lycée Carnot de Tunis, et il plongea dans notre langue qui était dirait-il "ma seule issue", et fut aussi un arrachement...
Memmi est mort vendredi, presque centenaire, et le Monde se souvient qu’il y a plus de 60 ans il éveilla la France en écrivant. Ce furent des romans, la Statue de sel, Agar, qui racontaient la pauvreté absolue et les déchirures des identités, puis en pleine guerre d'Algérie des essais, Portrait du colonisé, Portrait du colonisateur, où il disait les humiliations. «Pour vivre, écrivait-il, le colonisé a besoin de supprimer la colonisation. Mais pour devenir un homme, il doit supprimer le colonisé qu'il est devenu. »
Memmi parlait de la liberté que l’on conquiert en s’émancipant de son groupe. "Voici un écrivain français de Tunisie qui n'est ni français ni tunisien. C'est à peine s'il est juif puisque, dans un sens, il ne veut pas l’être", écrivait de lui Camus, qui comme Sartre préfaça ses livres, et Leopold Sédar Senghor le considérait comme une référence…
Toute sa vie Memmi écrivit sur ce qui le faisait juif, ce qui le faisait arabe et tunisien, ce qui le faisait français. Il conservait dans son appartement à Paris une photo de sa mère venue d'un autre monde, il parlait d'elle en français qu’elle ignorait.
Vous trouvez Albert Memmi, sur les sites du Monde, du Point, de la revue la Règle du jeu, et sur le site du Monde diplomatique je retrouve un texte amer qu'il avait composé en 1989, sur et contre les intégrismes, quand l'Iran des mollahs avait condamné à mort l'écrivain Salman Rushdie, Albert Memmi était d'une laïcité profonde, car sans elle aucune révolution ne pouvait aboutir…
Et ce matin où je lis dans Mediapart un essai signé Christian Salmon, sur l'incapacité de la littérature à raconter notre crise, Albert Memmi me rappelle comment parfois les mots nous ont traduit, même si nous l’oublions ensuite.
Jean-Loup Dabadie parti octogénaire ne nous en voudra pas de l’évoquer qu’en second, lui qui nous raconta si bien. Je lis dans le Figaro la plus simple des épitaphes. Signée Éric Neuhoff. "Pendant des années, le cinéma français parla le Dabadie couramment."