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  • Le cadet des Fabert

     
     
     
    Ci-dessous le texte d'un article publié dans L’ÉCHO DU SOIR D'ALGER: MAX MEMMI, BERNARD PIVOT, DEUX ÉCRIVAINS, DEUX ALTERNATIVES
    Par un heureux concours de circonstance, Max Memmi m’a envoyé son dernier roman, Le cadet des Faber, éditions « Orizons », 2021. Orné d’une belle dédicace en page de garde, j’en ai fait une priorité de lecteur par rapport aux ouvrages acquis lors du dernier Sila. ( Salon international du livre d'Alger) Frère d’Albert Memmi, le plus connu de la fratrie, me semble-t-il, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Marguerite ou la mort de l’homme. Bien sûr, ce natif de Tunis (La Goulette) doit être redécouvert pour avoir une idée précise sur son itinéraire.
    Néanmoins, quand j’ai ouvert ce roman, je n’ai pas pu m’arrêter, tellement l’intrigue m’a attaché à la succession des pages. Sa lecture est aisée, servie par une linéarité intelligente, une linéarité à rebondissement, où le héros Faber, est-il vraiment un héros ou une victime d’un destin noir, redécouvre en fait ses frères et sœurs, chacun dans un coin de France, sans réel contact entre eux, sinon à des moments particuliers. Cette linéarité ne rebute pas le lecteur, bien au contraire ; elle lui permet d’aller d’un moment de vie à un autre d’une famille gigantesque par sa préfabrication sociale. Cette linéarité nous fait redécouvrir également cette écriture sage, du bon vieux français, cette écriture qui rappelle les Classiques de la littérature du 19 siècle.
    Justement, en lisant le roman de Max Memmi, je ne sais pas pourquoi j’avais cette belle impression de retomber dans des romans, comme ceux de Balzac, de Zola, et d’autres œuvres de ma jeunesse. Je ne verse pas dans la comparaison, ce n’est pas le but ; c’est juste pour vous faire toucher du doigt la précision du style de Max Memmi, et sa connaissance de la langue française. La phrase est correcte, la ponctuation à sa place. En lisant ce roman, je me suis retrouvé derrière un pupitre au lycée en train de disséquer le texte de ces grands auteurs français.
    Max Memmi a choisi de traiter dans son roman ce qu’on peut appeler une maladie secrète de certaines familles, l’inceste. Au sein de la famille Fabert, une famille d’apparence bourgeoise, voire plus, rien ne montre la cassure en son sein, par le fait du paternel qui commet l’inceste à l’encontre du cadet de la famille. L’auteur nous fait pénétrer un monde inimaginable, sous des apparences sociales d’une famille bien sous tous les rapports, alors que, au fil de la trame, le lecteur découvre l’horreur vécue par certains des enfants Fabert ? Il n’est pas question, ici, de donner le fil de l’histoire dans ses détails. Non ! Sachons seulement que Max Memmi est un véritable faiseur d’histoire sur des sujets de société sérieux et délicats à interpréter, sinon par des spécialistes de la tortueuse âme humaine. Car c’est de cela dont il est question dans ce roman, Le cadet des Fabert. Je n’ai pas eu à juger ni les hommes ni les faits. J’ai juste, encore une fois, démonté, grâce à l’auteur, les mécanismes honteux de la souillure humaine. Là, Max Memmi a su trouver les maux adéquats pour traiter un sujet aussi sensible. Bravo Monsieur !
    Bernard Pivot est connu, reconnu, célèbre parmi les littérateurs francophones, animateurs d'émissions culturelles célèbres, père des fameuses dictées de la télé publique française et, maintenant, membre de l’Académie Goncourt. Puis, une fois en retraite, il s’est mis à l’écriture ; et ce n’est que justice pour tout le travail qu’il a accompli pour et par le livre, pour et par les écrivains. On se rappelle tous des soirées mémorables de « Bouillon de culture ». Il sera question de son ouvrage (récit ?), … Mais la vie continue, Ed. Albin Michel, 2021, dans lequel l’auteur traite des petits bobos de la vie. Sauf que ces petits bobos se transforment souvent en ennuis de santé certains.
    Pris sur le ton taquin, il est question également de grand âge. Souvent du reste ces ennuis de santé sont liés à l’âge, comme si l’être humain usé par le temps, un peu dans une voiture, ressent (c’est le principe de la vie) quelques ratés au niveau des os, du cœur, des yeux, de la prostate ; ou pire quand il s’agit d’un cancer, par exemple. Le mérite de Bernard Pivot dans tout ça, c’est d’avoir réussi, avec sa verve et son entrain naturel, à dédramatiser ces problèmes techniques liés à la santé, en général.
    Agé de plus de 80 ans, Pivot raconte, avec amusement et gourmandise, les discussions de ses amis, souvent du même âge. Il déclare que les vieux parlent plus de leurs ennuis de santé que d’autre chose de la société. En fait, c’est l’histoire d’un groupe de potes octogénaires qui, au fil des rencontres, comme un rituel, passent en revue leurs soucis de santé. L’auteur les énumère avec une curiosité amusante ; sauf quand un ami vaincu par la maladie rend les armes. Là, c’est l’âme du groupe qui en prend un coup. A plusieurs reprises, j’ai senti énormément de tristesse dans le corps du texte, quand il est question d’accompagner un ami à sa dernière demeure.
    Il est vrai qu’à 20, dans la vigueur des épaules, on ne pense pas ni à la prostate ni au cholestérol, ni aux insomnies ni à l’angoisse du vieillard, etc. C’est au fil de l’âge que s’installe une organisation de prise en charge de nombre de bobos chez nous. Puis, sans qu’on se rende compte, on est confronté à une maladie de vieux. Dès lors, c’est la batterie d’analyses et de radios, quand ce n’est pas l’errance médicale. Parfois, on se retrouve à l’hôpital pour monter sur le billard, comme on dit prosaïquement. Parfois, on passe l’arme à gauche, pour être près du parler de monsieur tout le mon.
    De ces deux textes, j’ai retrouvé « les délices et les souffrances de l’écriture ». Mais également l’intérêt d’aller titiller les tabous de notre société, comme l’inceste, ou comme la décrépitude de l’être humain. Memmi et Pivot ont réussi, faut-il le rappeler, à m’enchainer phrase après phrase dans l’évolution du scénario, chez Memmi la famille Fabert et chez Pivot, les maux de la vieillesse. Et voilà ce que nous dit Pivot : « Les bilans annuels de santé sont aux vieux ce que sont aux jeunes les examens scolaires et universitaires. Les réussir signifie que nous obtenons au moins la moyenne dans l’analyse du sang et des urines. De bons scores dans les difficiles épreuves du cholestérol, de triglycérides, de la glycémie et de l’urée procurent beaucoup de satisfaction. Et même de la fierté. »
    Youcef Merahi.